WALSER MARTIN (1927-2023)
Martin Walser est l’un des piliers de la littérature allemande d’après-guerre avec Heinrich Böll, Günter Grass, Christa Wolf et Hans Magnus Enzensberger. Romancier, essayiste et dramaturge, Martin Walser a, pendant plus de soixante ans, non seulement marqué la littérature allemande mais aussi la vie intellectuelle de son pays par ses prises de position politiques.
Né le 24 mars 1927 à Wasserburg, au bord du lac de Constance, il n’a jamais quitté cette région. Fils d’un aubergiste, il devient orphelin de père à l’âge de dix ans. Les souvenirs de cette enfance sont évoqués dans le roman : Einspringender Brunnen paru en1998 (Une source vive, 2001), où Walser ne décrit pas seulement son enfance mais aussi l’ascension et la chute du IIIe Reich. Adolescent pendant la Seconde Guerre mondiale où il perd son frère de deux ans son aîné, il sert un moment dans la défense anti-aérienne.
En 1947, alors qu’il a vingt ans, il commence des études de littérature, d’histoire et de philosophie à Regensburg puis à Tübingen. En 1952, il soutient une thèse sur Kafka, qui fait toujours autorité, BeschreibungeinerForm (« Description d’une forme »). En 1953, il devient l’un des plus jeunes membres du Groupe 47, mouvement de réflexion littéraire rassemblé autour de l’écrivain Hans Werner Richter qui appelle à « des moyens de mise en forme nouveaux, un style nouveau, une littérature nouvelle ». Deux ans plus tard, il obtient le prix du Groupe 47 pour son récit « Templones Ende » paru dans le recueil de nouvelles EinFlugzeugüberdemHaus (1955 ; Histoires pour mentir, 1971). En 1957, son premier roman Ehen in Philippsburg (Quadrille à Philippsbourg, 1959) connaît d’emblée un immense succès. Dans une ère nouvelle où le miracle économique a refoulé le souvenir de l’Holocauste, le jeune journaliste Hans Beumann est aux prises avec un monde où l’important est de faire carrière et d’afficher son succès en montrant ce que l’on possède : argent, maisons et maîtresses. L’écrivain d’à peine trente ans fait ici le portrait magistral de la jeune République fédérale et de sa morale à géométrie variable. Le livre va très vite s’inscrire parmi les grands romans de l’après-guerre que sont Das Treibhaus (1953 ; La Serre, 1953) de Wolfgang Koeppen, Billard um halbzehn (1959 ; Les Deux Sacrements, 1961)de Heinrich Böll, Die Blechtrommel (1959 ; Le Tambour, 1959) de Günter Grass et Deutschstunde (1968 ; La Leçon d’allemand, 1970) de Siegfried Lenz.
À partir de ce moment, Walser vit de sa plume avec sa famille à Friedrichshafen près du lac de Constance. C’est un écrivain prolifique qui, attentif à la crise des valeurs et des institutions de cette nouvelle Allemagne, tire parti de l'affrontement des idéologies pour s’attacher à la situation paradoxale de l'Homme dans les sociétés libérales contemporaines à la fois totalement libre et totalement dépendant. S’il y a du réalisme dans l’œuvre de Walser, il n’est pas assimilable à une description minutieuse du monde extérieur ; il est de nature plus intime, plus psychologique, une réaction de l’imagination à la réalité : « La critique de la société n’est pas mon but. Je qualifierais plutôt mes livres de labyrinthes intérieurs. »
Depuis Quadrille à Philippsbourg, il confronte ses héros, ou plutôt ses anti-héros, au monde de l'argent, de la performance économique et sociale mais aussi de la rivalité amoureuse. Ce dernier thème est au centre de sa pièce de théâtre Die Zimmerschlacht parue en 1967 (« La bataille en chambre ») et de son roman EinfliehendesPferdparu en 1978 (Un cheval qui fuit, 1980), livre qui reste son plus grand succès. Badinage et érotisme, envie de pouvoir et jalousie donnent le ton à cette critique de l’embourgeoisement, qui n’est pas sans rappeler sur le mode parodique Les Affinités électives de Goethe. Le[...]
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Écrit par
- Pierre DESHUSSES : traducteur
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