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MARXISME La réification

Réification et pathologie mentale

Le phénomène de réification se caractérise par un recul de la fonction axiologique et par une tendance à l'abstraction due au développement prépondérant des catégories de quantité par opposition à celles de qualité. Ces caractères ont frappé l'esprit des psychiatres lorsqu'ils les rapprochèrent des symptômes constatés dans des affections telles que la schizophrénie. À la suite des travaux d'Eugène Minkowski (Le Temps vécu ; La Schizophrénie) et de l'école de psychopathologie existentielle (Daseinsanalyse), Joseph Gabel entreprit des recherches sur les idéologies politiques qu'il définit, dans leurs formes totalitaires, comme des « syndromes réificationnels » (La Fausse Conscience), c'est-à-dire comme des formes réifiées, dogmatiques et abstraites de pensée, proches précisément dans leurs manifestations des symptômes schizophréniques. Il écrit ainsi : « La fausse conscience – c'est-à-dire l'ensemble de ces structures régressives et déréalistes en psychologie politique – nous est apparue ainsi comme étant essentiellement une prise de conscience adialectique, anaxiologique et abstraite de réalités significatives et concrètement dialectiques. »

L'étude psychologique menait donc directement aux structures sociologiques elles-mêmes, où se manifestaient globalement les mêmes symptômes. Gabel chercha donc dans la théorie marxienne et lukàcsienne de la réification les fondements explicatifs des phénomènes de pathologie mentale, et, particulièrement, de la schizophrénie. Son hypothèse centrale était que toutes les variétés de cette affection manifestent un noyau central qui est le rapport sujet-objet, moi-monde. La schizophrénie se caractérise dès lors, pour lui, comme un cas particulier de « dédialectisation » de ce rapport, et par conséquent comme une maladie étroitement liée à la structure réifiée de la société marchande. Sous ce rapport, la philosophie existentialiste, dont le vocabulaire apparaît fréquemment dans le discours de schizophrènes en voie de guérison, serait une protestation contre cette même structure réifiée. Ainsi, « c'est la structure dialectique de son insertion dans le monde qui défend l'homme (individuel ou social) contre le délire » (La Fausse Conscience).

Plus récemment, et sur des bases toutes différentes, Gilles Deleuze et Felix Guattari ont repris la question dans Capitalisme et Schizophrénie. L'Anti-Œdipe. Leur entreprise se révèle d'abord antipsychanalytique en ce qu'elle accuse la théorie freudienne d'avoir pensé le désir dans le droit fil de la philosophie idéaliste comme désir lié à un manque. À travers le scénario œdipien comme représentation tragique de ce manque, elle a enfermé le psychisme dans le théâtre clos de la famille. Si dès lors l'étude des manifestations psychiques doit s'ouvrir sur le social et le politique, ce sera pourvue d'une nouvelle théorie du désir, comme production des « machines désirantes » que nous sommes. Deleuze et Guattari insistent sur l'aspect productif du désir, ainsi que sur son aspect moléculaire et fragmentaire, lié aux branchements innombrables caractérisant la machine. Ils jettent ainsi les bases d'une anthropologie qui prend le contre-pied de l'identité massive (molaire) et structurée du Moi et par conséquent des psychiatries qui lui sont liées. Ils insistent sur le fait que le désir schizoïde peut être interprété comme alternative politique et sociale « productiviste » à une société et un régime économique uniquement pensés et vécus sur le mode de l'acquisition.

Dans cette perspective, la réification est du côté du système dominant notre civilisation occidentale, système molaire qu'on pourrait caractériser comme paranoïaque, arc-bouté qu'il est sur les rituels de l'acquis,[...]

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Écrit par

  • : maître assistant, directeur du groupe de sociologie de la littérature à l'École des hautes études en sciences sociales

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