MARXISME Le matérialisme dialectique
Matérialisme dialectique et histoire de la philosophie
Il n'y a du nouveau que par rapport à l'ancien : tout de suite se pose donc la question du rapport de la nouvelle philosophie à celles qui l'ont précédée. Le matérialisme dialectique n'est pas la mort de la philosophie, puisqu'il est encore philosophie (sinon « une » philosophie) : d'une certaine manière, avec lui l'histoire de la philosophie continue. Pourtant, il contribue par un autre aspect à l'interrompre, puisqu'il met fin à une certaine manière de philosopher, et rejette dans son ensemble la tradition philosophique qui l'a précédé.
Hegel et Marx
Cette question se trouve en quelque sorte résumée dans celle du rapport de Hegel à Marx. En effet, la philosophie de Hegel rassemble toutes les philosophies qui l'ont précédée et les présente sous la forme d'une histoire de la philosophie. L'écart qui sépare Marx de Hegel permet donc de mesurer celui qui sépare le matérialisme dialectique de toutes les autres philosophies : il permet aussi de mesurer l'écart qui sépare Marx lui-même, celui du Capital, des œuvres philosophiques du « jeune Marx », inspirées par Kant, Hegel et Feuerbach, et qui appartiennent encore à la tradition de la philosophie ancienne.
Or la position de Marx par rapport à Hegel, dans les termes où il la présente lui-même, est au départ énigmatique. D'une part, Hegel apparaît comme le représentant de la philosophie classique, de la position idéaliste en philosophie : c'est son « côté mystificateur », qu'il faut détruire pour ramener la philosophie à sa base matérielle. Mais cette élimination a pour effet de libérer, de rendre à lui-même un autre aspect, positif celui-là, de l'œuvre de Hegel : »La mystification que la dialectique subit entre les mains de Hegel n'empêche en aucune manière qu'il ait été le premier à en exposer, avec ampleur et conscience, les formes de mouvement générales » (Marx, postface à la deuxième édition du Capital). Tirons de ce texte une première conclusion : contrairement à la représentation qui nous en est communément imposée, l'œuvre de Hegel n'est pas un système clos, complet, unifié, irréductible ; elle résulte de la combinaison de deux aspects hétérogènes, et même contradictoires, qui peuvent être séparés parce qu'aucune règle interne de constitution ne les rend solidaires l'un de l'autre ; elle concentre, elle aggrave, en prétendant le résoudre, le conflit immanent à toute l'histoire de la philosophie, en étant à la fois la plus idéaliste et la plus matérialiste des philosophies, c'est-à-dire la plus contradictoire.
L'aspect négatif de l'hégélianisme, c'est la mystification qui fait dépendre le mouvement du réel du processus de la pensée, de l'Idée : c'est le système, nécessairement idéaliste en tant que système, comme l'explique Engels au début de son livre sur Ludwig Feuerbach ; le système, c'est le mode d'exposition théorique où se reflète l'ordre établi de la domination idéologique des classes politiquement dominantes, et en même temps l'illusion d'autonomie et de création d'un « philosophe » comme sujet individuel : Marx, lui, n'est plus un sujet philosophique, un auteur de système, mais un théoricien qui occupe à ce titre une place délimitée dans un processus politique pratique.
Est-ce à dire que l'aspect positif, qui peut être isolé du précédent, c'est la dialectique ou la méthode de la philosophie nouvelle, déjà présente, mais coupée de sa base matérielle chez Hegel ? C'est ce que semble indiquer la métaphore fameuse du renversement : « La dialectique est chez Hegel la tête en bas. Il faut la renverser pour découvrir dans la gangue mystique le noyau rationnel. » À prendre[...]
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Écrit par
- Étienne BALIBAR : philosophe, professeur à l'université de Paris-I
- Pierre MACHEREY : maître assistant à l'université de Paris-I
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