MARXISME Les révisions du marxisme
Répliques orthodoxes
« La coalition qui, sur le plan idéologique, assure la défaite du révisionnisme est dirigée par le centre orthodoxe » : Karl Kautsky y fait figure de « pape du marxisme ». Mais il reçoit aussi le concours de la gauche social-démocrate et notamment de Rosa Luxemburg.
Dans un livre publié en 1899, Bernstein et le programme social-démocrate, une anticritique, K. Kautsky se livre à une longue bataille statistique destinée à préserver le diagnostic de crise du capitalisme. L'évolution de l'industrie confirme la tendance à la concentration ; les trusts ne parviennent ni à limiter la production ni à maîtriser la surproduction ; si la classe moyenne acquiert des caractères nouveaux, cette transformation ne contredit pas l'évolution générale vers la prolétarisation croissante et la paupérisation « au moins relative » d'une partie de la société, alors que les capitalistes tendent à bénéficier quant à eux d'un enrichissement absolu. L'effondrement final est bien inscrit dans le devenir global du capitalisme et Bernstein ne fait que confondre court terme et long terme. Sa critique, en sapant l'ensemble de cette conception du monde qu'est le marxisme, désarme le prolétariat. Le révisionnisme est un opportunisme qui mène à une collaboration de classe. Orthodoxe mais centriste, K. Kautsky finira cependant par renoncer à l'idée d'un effondrement nécessaire du capitalisme et de l'impérialisme, et ne tardera pas, sur le plan politique, à préconiser un réformisme légaliste. Paradoxe : le plus ardent adversaire de Bernstein auquel Lénine ne ménage pas son approbation deviendra le renégat Kautsky.
Du côté de la gauche, la critique de Rosa Luxemburg n'est pas non plus dénuée de paradoxes : dans Réforme ou révolution ?, elle développe une attaque en règle des thèses révisionnistes. Les arguments économiques sont destinés à justifier une conception « apocalyptique » de la fin prochaine du capitalisme, irrémédiablement secoué de convulsions de plus en plus violentes face auxquelles se dresseront victorieusement les classes ouvrières sans frontières ni patries. La révolution est « grandiose », le programme révolutionnaire s'impose de toute urgence : les critiques de Bernstein contre son caractère prématuré relèvent de la « sottise politique », d'une « conception mécanique » du développement de la société en même temps que d'un opportunisme tant théorique que pratique. Si Rosa Luxemburg exprime un point de vue radicalement hostile au réformisme légaliste d'un Bernstein, elle n'adhère pas pour autant aux conceptions léninistes du parti et de la dictature du prolétariat, conceptions dont Lénine fait l'enjeu principal de la lutte de l'orthodoxie contre les déviations révisionnistes. C'est ainsi le contenu même de la thèse révisionniste qui s'étend après la Première Guerre mondiale et face à l'« aventure bolchevique ».
Dès 1908, Lénine pose que « le révisionnisme est un phénomène international ». L'explication en est simple : les partis ouvriers ont leur base sociale dans l'aristocratie ouvrière de l'Allemagne et des autres pays capitalistes, « aristocratie nourrie par la bourgeoisie impérialiste au compte des superprofits coloniaux ». Ces partis subissent donc une influence petite-bourgeoise et opportuniste. Le révisionnisme, issu de la bourgeoisie, ne peut que faire le jeu de la bourgeoisie. Avec la guerre, Lénine met l'accent sur une nouvelle composante du révisionnisme : l'adaptation au nationalisme bourgeois. Internationalistes, les révolutionnaires s'opposent au « social-chauvinisme », et la guerre de 1914-1918 permet de distinguer entre vrais et faux marxistes. L'orthodoxe Lénine « gère un stock de textes et de concepts en gardien d'arsenal »[...]
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Écrit par
- Pierre BOURETZ : assistant au département de science politique de l'université de Paris-I
- Evelyne PISIER : professeur au département des sciences politiques de l'université de Paris-I
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