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MARXISME Les révisions du marxisme

Le révisionnisme moderne

Nikita Khrouchtchev et Tito, 1963 - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Nikita Khrouchtchev et Tito, 1963

Après la Seconde Guerre mondiale, la revendication yougoslave d'un passage spécifique au socialisme ouvre la voie au révisionnisme moderne. Sur le plan international, Tito se réclame du neutralisme, alors que sur le plan interne la critique du centralisme conduit à défendre le système de l'autogestion. La Yougoslavie est exclue du Kominform en 1948 ; désormais, titisme et révisionnisme se conjuguent et les ambiguïtés se renouvellent. La critique de la bureaucratie en termes de nouvelle classe dirigeante est assurée par Djilas, alors que Trotski n'avait jamais dépassé l'« État ouvrier dégénéré » : mais si Khrouchtchev après 1956 tend la main à Tito, il continue de bannir Trotski.

Le révisionnisme est bien au cœur des nouveaux bouleversements d'une carte idéologique qui se complexifie. En effet, le rapport Khrouchtchev insiste sur les violations de la légalité socialiste, le culte de la personnalité et les crimes commis par Staline. Le révisionnisme se conjugue-t-il désormais avec la déstalinisation ? Certainement pas de manière avouée en tout cas, puisque Khrouchtchev ne cesse de donner des gages d'antirévisionnisme théorique et pratique, lors même qu'il impose la défense de la coexistence pacifique sur le plan international et une affirmation de la pluralité des voies de passage au socialisme, qui implique la reconnaissance de la légitimité du réformisme et du légalisme. La critique du stalinisme reste timide ; elle disculpe notamment les partis communistes à l'Est comme à l'Ouest, mais ses conséquences sont bientôt dénoncées comme révisionnistes par Mao Zedong et Enver Hoxha. Après 1960, la querelle du révisionnisme partage le camp socialiste lui-même : le maoïsme redessine la lutte des classes en lutte des peuples, et le révisionnisme de Khrouchtchev, comme celui de Togliatti, voire du Parti communiste français, est identifié à terme comme un compromis avec le capitalisme au prix d'une politique « social-impérialiste ». L'arme nucléaire invoquée par Khrouchtchev pour défendre la coexistence pacifique se retourne contre « la juste cause des peuples du monde » et n'est qu'un « tigre de papier » : la révolution est plus que jamais nécessaire. Au nom de la fidélité à Marx mais aussi à Lénine, Mao Zedong s'autoproclame nouveau gardien du dogme contre toutes les tentatives de révisions : « L'histoire se répète dans des conditions différentes. Le révisionnisme moderne, tout comme le révisionnisme et l'opportunisme de la IIe Internationale, s'évertue à estomper les contradictions du capitalisme et de l'impérialisme. »

Le schisme sino-soviétique peut alors étendre ses querelles au monde occidental : le révisionnisme y départage gauchistes et orthodoxes. Si ces derniers n'assument pas l'insulte, du moins intègrent-ils une partie du « programme » : ainsi disparaît la référence à la dictature du prolétariat ; ainsi se font ici et là des « unions de la gauche » ; ainsi s'ébauche provisoirement l'eurocommunisme, avant que ne diminuent les troupes électorales et militantes des partis communistes. La notion même de révisionnisme semble alors perdre toute signification. À l'Est, avant la chute de l'Union soviétique, elle gardait cependant d'autres vocations. En Hongrie, en Pologne, en Tchécoslovaquie, voire en Union soviétique, le révisionnisme moderne s'identifiait aux courants de la déstalinisation. Dans le cadre des pays communistes, il ébauchait une perspective légaliste, réformiste, moderniste à la dictature, qui cherchait à faire l'économie de la dissidence. L'abandon du régime communiste sous l'ère Gorbatchev marquera à la fois l'aboutissement et l'échec de cette ultime tentative de réforme interne du système.[...]

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Écrit par

  • : assistant au département de science politique de l'université de Paris-I
  • : professeur au département des sciences politiques de l'université de Paris-I

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Nikita Khrouchtchev et Tito, 1963 - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Nikita Khrouchtchev et Tito, 1963

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