DOUGLAS MARY (1921-2007)
Mary Douglas est une anthropologue britannique dont les travaux comparatistes sont reconnus parmi les plus novateurs. Fille d’un administrateur colonial de l’Indian Civil Service en poste en Birmanie, elle part en Angleterre dès 1926 pour y réaliser une scolarité au sein de prestigieuses institutions catholiques. L’originalité de sa trajectoire intellectuelle tire sans doute sa source d’une formation religieuse qui l’a rendue attentive aux formes symboliques de la croyance. Elle est également associée à l’influence exercée par son professeur, Edward Evans-Pritchard, dont l’antiorganicisme a notamment contribué à transformer l’appréhension des phénomènes de magie et de religion. Ses travaux la mèneront des objets les plus classiques de sa discipline à des travaux sur l’anthropologie de la consommation et du risque dans les sociétés modernes. Diplômée de l’université d’Oxford, elle travaille pour le British Colonial Office jusqu’en 1947. Elle achève ensuite son doctorat au sein de son université d’origine et devient professeur d’anthropologie sociale à l’University College of London où elle enseignera pendant vingt-cinq ans. Elle part ensuite pour les États-Unis ou elle achèvera sa carrière officielle avant d’être élue Fellow of the British Academy en 1989.
En 1949, Mary Douglas se rend au Congo belge pour y mener une première enquête sur une société matrilinéaire du Kasai : les Lele. C’est notamment par des règles matrimoniales polyandriques que ces populations offrent la possibilité à certaines femmes d’avoir plusieurs maris. Ses premières publications rompent avec les habitudes fonctionnalistes centrées sur l’analyse des institutions permettant aux groupes de maintenir leur cohérence collective. Elles se démarquent aussi de l’idéalisme d’une ethnologie française marquée par Marcel Griaule. Grâce à un intense travail empirique, Mary Douglas entreprend de rendre compte de la pensée Lele. Mais elle s’empare surtout de la discordance entre l’idéel et le réel, de l’écart entre ce que disent les institutions et les pratiques concrètes des individus, du décalage entre les règles implicites et explicites.
L’ouvrage Purity and Danger, paru en 1966, marque un tournant important où s’affirme pour la première fois la dimension comparatiste de sa réflexion. Le texte s’interroge sur le sens des catégorisations, des divisions mentales, par lesquelles les sociétés tentent de rendre le monde intelligible. Il se propose d’analyser les phénomènes rituels dans ce qu’ils imposent comme distinction entre le pur et l’impur, entre le tabou et le dicible. Contrairement au projet structuraliste de Claude Lévi-Strauss, Mary Douglas ne cherche pas à reconstituer des universaux et des intemporels. Elle tente seulement de montrer comment les groupes cherchent à écarter ceux qui ne respectent pas certaines normes ou qui n’entrent pas dans les classifications communément admises. Elle en souligne d’autant mieux les dynamiques de changement induites par ces exclusions et ces réintégrations.
Mary Douglas s’empare à l’occasion d’un enjeu central de l’anthropologie britannique : la distinction entre magie et religion. La première est ordinairement associée à des comportements irrationnels et impropres alors que la seconde serait portée par des attitudes potentiellement orientées par la raison. L’ouvrage considère au contraire que les pratiques de la magie révèlent simplement les expériences du dégoût et du contentement qui organisent implicitement la vie quotidienne alors que la religion exprime les règles explicites par lesquelles s’ordonne le social. Comprendre les logiques de la magie permet donc de mesurer l’ordinaire de la souillure et de la propreté. Cette pratique ne renvoie jamais qu’à la réaffirmation de classifications non dénuées de contradictions, susceptibles de contestations, mais rarement vécues sur le registre[...]
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Écrit par
- Éric SORIANO : maître de conférences en science politique à l'université Paul-Valéry, Montpellier
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