CONDÉ MARYSE (1934-2024)
À la croisée de plusieurs cultures
Si l’écrivaine a d'abord été dramaturge et critique, c’est par le roman qu’elle a connu ses plus grands succès. Sa démarche créative, construite à partir d’une dimension intime et personnelle, s’est nourrie de ses nombreux voyages. Pour les romans, on peut ainsi distinguer une thématique africaine, avec Heremakhonon, Une saison à Rihata (1981), Ségou, Histoire de la femme cannibale (2003) ou Les Belles Ténébreuses(2008) ; une période américaine, que l’on songe à Moi, Tituba sorcière…noire de Salem (1986), La Vie scélérate(1987), La Colonie du Nouveau Monde (1993) ou La Migration des cœurs(1995) ; ainsi qu’une inspiration caribéenne, guadeloupéenne – son attachement à son île, malgré ses nombreux voyages, reste indéfectible –, mais aussi haïtienne, comme en témoignent Desirada (1997), Traversée de la mangrove(1989), Célanire cou-coupé (2000), La Belle Créole(2001) ou En attendant la montée des eaux (2010).
La veine autobiographique, inaugurée dès 1998 avec Le Cœur à rire et à pleurer, se poursuit avec La Vie sans fards (2012) et se clôt par Mets et merveilles (2015), récit associant littérature et cuisine. L’ensemble de l’œuvre de Maryse Condé se complète d’articles, d’essais critiques – ainsi La Parole des femmes : essai sur des romancières des Antilles de langue française (1979) – ou encore d’entretiens – avec Françoise Pfaff (1993 et 2016) – qui rendent compte des évolutions de sa conception de l’écriture et de l’engagement littéraire. Si, au départ, elle apparaît comme une auteure soucieuse d’explorer différents trajets possibles de la négritude, selon un modèle emprunté à Aimé Césaire, ses diverses migrations transatlantiques vont sensiblement modifier sa perception de la réalité postcoloniale.
Les personnages de Maryse Condé sont souvent des femmes marginalisées qui tentent inlassablement, à travers les vicissitudes de la vie et du monde, d’affirmer leur liberté. Elles ont pour nom Tituba, Rosélie, Célanire ou encore Victoire, sa grand-mère maternelle à laquelle la romancière a consacré un livre en 2006 (Victoire, les saveurs et les mots). Sans qu’il soit toujours question d’une inspiration proprement autobiographique, on y reconnaît le souci de l’écrivaine de dégager sa création de toute idéologie.
Maryse Condé écrit pour s’affranchir des conventions, ainsi que l’attestent ses récits, mais aussi ses pièces de théâtre comme Dieu nous l’a donné (1972) ou An tan révolisyon. Cette dernière, créée en 1989 à l’occasion des fêtes commémoratives du Bicentenaire de la Révolution française, s’éloigne de la célébration attendue pour montrer que la Révolution n'est pas synonyme de libération pour les Antillais, démystifiant le rêve unanimiste qu’on pouvait en faire a priori.
Le talent narratif de Maryse Condé se double souvent d’une ironie – n’excluant nullement l’autodérision –, qui fait la saveur d’œuvres comme Moi, Tituba, sorcière… noire de Salem ou La Traversée de la mangrove. Celle-ci s’accorde à l’engagement postcolonial dans La Migration des cœurs, libre réécriture des Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë, qui transforme la famille de Cathy, petits propriétaires du Yorkshire, en une famille guadeloupéenne de mulâtres.
À la question de la langue qui traverse la littérature antillaise, Maryse Condé répond en s’affranchissant de l’opposition binaire créole/français. Elle ne croit pas à la dichotomie entre langue maternelle (le créole) et langue de colonisation (le français), et indique n’écrire ni en français ni en créole, mais « en Maryse Condé ».
Le refus de tout conformisme mais aussi de tout militantisme constitue la marque de son œuvre. En tant qu’Antillaise dans un espace dominé par les littératures des ex-empires coloniaux, Maryse Condé assume le terme[...]
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Écrit par
- Jean-Marc MOURA : professeur de littératures francophones et de littérature comparée, université Paris-Nanterre, membre de l'Institut universitaire de France
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