MASACCIO (1401-env. 1429)
Le néo-giottisme et la tradition gothique
En ce sens, le néo-giottisme de Masaccio se distingue nettement des emprunts que beaucoup de ses contemporains font à des motifs du début du xive siècle : depuis le Maestro del Bambino Vispo jusqu'à Giovanni Toscani, depuis le Maestro della Madonna Straus jusqu'à Paolo Schiavo. Cette tendance à un retour aux sources et à un historicisme précoce est certainement commune à toute la culture florentine. Elle plonge ses racines dans les faits économiques auxquels on faisait allusion plus haut. Mais les variations sur le clair-obscur, schématiques et académiques, d'un Niccolò Gerini sont une chose ; les évocations nostalgiques et précieuses des artistes qu'on vient de nommer en sont une autre ; et c'est encore tout autre chose que la nouvelle interprétation que Masaccio propose de cet âge d'or de l'histoire florentine : il s'agit cette fois d'un retour à ce que Masaccio considère comme le « vrai » Giotto, dont la peinture est réduite à son essence plastique, « pure et sans ornement », ce que le Giotto de l'histoire ne réalisa jamais (sinon, peut-être, dans la chapelle Peruzzi). Dans le cadre de la perspective de Brunelleschi, les indications spatiales de Giotto retrouvent leur valeur d'organisation rationnelle de la réalité. Le sens du relief plastique, qui avait déjà opposé Giotto aux peintres de la génération précédente, prend des dimensions héroïques grâce à l'adoption systématique des ombres portées.
Ce lien avec la peinture de Giotto n'est qu'un des aspects de l'importance que la tradition de la peinture médiévale eut pour Masaccio. Cette importance fut proportionnellement plus grande que celle que put avoir, respectivement, pour Brunelleschi et pour Donatello, la tradition de l'architecture et de la sculpture. La tradition gothique fut brisée par les plus anciens novateurs, grâce à l'exemple qu'ils trouvèrent dans maints témoignages de la sculpture et de l'architecture classiques. Ce ne fut pas le cas pour Masaccio. Les œuvres d'art qui lui permettaient d'imaginer l'aspect des héros de l'Antiquité étaient en effet des sculptures. Ces modèles, pour lui qui était peintre, appartenaient encore à la réalité mais non à l'art (bien que cette réalité fût de marbre et non de chair et d'os). Le problème du langage restait entièrement à résoudre pour lui, et ne pouvait l'être que dans les termes de la langue vernaculaire gothique et moderne. C'est pourquoi la façon dont il se distingue de la tradition est beaucoup plus subtile. C'est pourquoi aussi son rapport avec le gothique tardif contemporain est beaucoup plus complexe. Masaccio ne put certainement pas rester indifférent à la peinture dense et empâtée, d'un effet plastique certain, mais ne faisant guère appel au dessin, du giottisme « frondeur » qui va de Maso à Stefano, de Giusto de' Menabuoi à Giovanni da Milano et à Giottino. C'est de cette tradition aussi que se réclament, à leur façon, des contemporains, tels que Gentile da Fabriano, Arcangelo di Cola da Camerino et Masolino da Panicale (1383-1440), le maître qu'une longue tradition historiographique assigne à Masaccio. Mais celui que la critique la plus récente semble préférer, son compatriote Mariotto di Cristofano, est un homme de culture encore plus traditionnelle, s'il est possible. Le clair-obscur sans hachures, peint et non dessiné, les figures « seulement illuminées avec des ombres sans contours » dont parle Lomazzo ont leurs sources les plus directes, en tant que technique picturale, non pas chez les épigones de la tradition giottesque florentine, mais dans les œuvres du plus célèbre peintre contemporain, Gentile da Fabriano (env. 1370-1427). Roberto Longhi a bien montré, à propos de La Madone du Palazzo[...]
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Écrit par
- Giovanni PREVITALI : chargé de cours à l'université de Messine, Italie
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