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MASQUES

Secrets et initiations

Le masque peut être délibérément terrifiant, dans le but d'effrayer les femmes et les enfants. Dans un village tropical où, après la récolte, le rythme apaisé de la vie permet l'observation du moindre détail quotidien, où les enfants apprennent à lire les empreintes des pieds de chacun sur le sol, il est douteux que des orteils sortant d'un long manteau végétal ne soient pas immédiatement identifiés. Que l'on fuie en poussant des cris suraigus n'implique pas obligatoirement que l'on aie peur, mais peut-être que l'on joue à avoir peur.

Malgré les réticences de certains auteurs, on sait que le principe suivant lequel, dans les sociétés traditionnelles, la connaissance serait le fait des seuls hommes, qui la transmettraient aux plus jeunes par le biais d'une initiation, est faux. Les femmes, en tout cas les femmes adultes, sont au courant de l'essentiel et savent que le jeu consiste pour elles à faire semblant de croire à la mise en scène masculine, de croire qu'un génie à forme de porc ou de crocodile est venu, en Nouvelle-Guinée, avaler leurs enfants pour les régurgiter, quelques jours plus tard, parés comme des hommes faits et frottés d'huile parfumée. Ce qui est enseigné en quelques jours aux adolescents dont on vient d'inciser le prépuce consiste en un certain nombre de préceptes de morale sociale, sexuelle, entre autres, en des tours de main techniques pour la fabrication de certains objets rituels, dont éventuellement le masque, en certains chants et danses, et en quelques grands traits d'un système symbolique global que les femmes connaissent très bien. En public, elles joueront le jeu, faisant semblant de croire, de redouter, de se cacher, entraînant les enfants des deux sexes dans un comportement formalisé dont les adultes connaissent la nature. La règle est qu'il ne faut pas que les hommes perdent la face.

La valeur initiatique du masque reste souvent obscure. On sait qu'il peut représenter les morts. Mais si le peuple d'outre-tombe vit une existence souvent inversée par rapport à celle des vivants, existant et dansant la nuit, tas d'ossements le jour, mangeant des nourritures innommables, il est cependant à l'image des vivants. Ainsi le masque ne représente-t-il jamais que l'homme, par son visage et par sa danse, c'est-à-dire la communauté de ceux qui le possèdent et dont il est l'image paradant devant les autres, même s'il revêt l'apparence d'un animal symbole de puissance ou symbole du clan, aigle pêcheur comme crocodile. On comprend que l'initiation au masque ne soit pas directement porteuse d'une philosophie ou d'une mystique secrète. Le masque lui-même n'est qu'un objet, une œuvre plastique portée qui vaut autant par la démarche de son support humain que par sa forme. Il n'y a rien d'autre à apprendre que la façon de le fabriquer et les rites qui accompagnent les étapes techniques successives, la façon de le porter et de danser avec lui. Il n'est même pas nécessaire qu'il représente un personnage particulier, puisqu'il est le symbole animé d'un groupe. En revanche, il fait partie d'un ensemble rituel qui le dépasse très largement, et il est alors prétexte à transmettre aux adolescents comme aux hommes faits un certain nombre de vérités premières, de préceptes de comportements individuels ou sociaux. On prend les postulants pour en faire des citoyens, des adultes responsables. Ce sont les règles de vie de microcosmes humains qui sont ainsi inculquées, en même temps que des brimades soulignent l'importance de cet apprentissage. Il ne s'agit en rien de révélations.

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Écrit par

  • : professeur au Muséum national d'histoire naturelle, directeur du laboratoire d'ethnologie, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses : religions de l'Océanie)

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Médias

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