MASSE, physique
Masse et inertie
Il existe une autre caractérisation de la masse d'un corps à partir de son comportement dynamique. L'expérience courante l'indique aussi bien : plus la masse (quantité de matière) d'un objet est grande, plus il est difficile de le mettre en mouvement ou de l'arrêter, autrement dit, de modifier son état de mouvement. Le principe de l'inertie, ébauché par Galilée, puis par Descartes, et énoncé par Newton, indique qu'un corps sur lequel n'agit aucune force poursuit un mouvement uniforme (rectiligne, à vitesse constante). Une force donnée F modifiera la vitesse en grandeur et/ou en direction, c'est-à-dire provoquera une accélération γ du corps d'autant plus grande que la masse du corps sera plus faible. La loi fondamentale de la dynamique, due encore à Newton, s'écrit : γ = F/m. Elle traduit parfaitement le rôle de la masse comme coefficient inertiel, caractérisant la résistance du corps au changement de son état de mouvement. Dans cette nouvelle acception, la masse reste une propriété additive, comme on le déduit aisément de l'additivité des forces. Cette conception de la masse est beaucoup plus générale que la précédente ; au lieu de se présenter comme une grandeur liée à un phénomène physique particulier, la pesanteur, elle se définit par la réponse d'un corps à une force absolument quelconque, qui peut être aussi bien de nature électrique, magnétique, etc., que gravitationnelle. On peut donc légitimement distinguer a priori pour chaque corps deux masses, la masse inerte mi qui intervient dans la loi (générale) de Newton, F = miγ, et la masse pesante mp qui caractérise la force gravitationnelle (ou poids), P = mpg, agissant sur le corps dans un champ de pesanteur g.
Les observations et les expériences confirment que, pour tous les corps sans exception, le rapport mp/mi est le même, ce qui permet, moyennant un choix naturel d'unités, d'identifier mp et mi, donnant ainsi une valeur commune (la masse) à la masse inerte et à la masse pesante. Le principe de ces vérifications est simple : si la force agissant sur le corps est la pesanteur (F = P), l'équation de Newton s'écrit : γ = P/mi = (mp/mi)g. L'accélération, donc la vitesse et la trajectoire du corps dans un champ de pesanteur donné, dépend ainsi du rapport mp/mi. Or l'on constate que tous les corps ont même mouvement dans un champ de pesanteur donné. La chute des corps à la surface de la Terre en offre l'exemple élémentaire : un gravier de 10 grammes et un rocher de 10 tonnes tombent avec la même accélération g, l'« accélération de la pesanteur » ; si la force qui s'exerce sur le second est un million de fois plus forte que sur le premier, son inertie est également un million de fois supérieure (il est un million de fois plus difficile à accélérer), et il y a exacte compensation. De même, la période d'oscillation d'un pendule (de longueur donnée) est-elle indépendante de sa masse, comme la période de révolution d'un satellite (d'orbite donnée). Des mesures très précises, d'abord effectuées par le physicien hongrois Loránd Eötvös (1890) et, plus récemment, par l'Américain R. H. Dicke vers 1960, ont confirmé l'universalité du rapport mp/mi pour de très nombreux corps, avec une précision qui atteint aujourd'hui 10–11.
Cette concordance entre deux grandeurs de natures très différentes, une charge gravitationnelle et un coefficient inertiel, n'a pas d'explication naturelle dans le cadre de la physique classique. Sa conséquence essentielle, l'identité des mouvements de différents corps sous l'action d'un champ gravitationnel, a servi de point de départ à Einstein pour construire sa théorie de la gravitation, dite relativité générale, sous forme géométrique : c'est en effet[...]
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Écrit par
- Jean-Marc LÉVY-LEBLOND : professeur émérite à l'université de Nice
- Bernard PIRE : directeur de recherche émérite au CNRS, centre de physique théorique de l'École polytechnique, Palaiseau
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