KHAN MASUD (1924-1989)
Un personnage d'abord. De grande allure, élégant, beau – toutes choses plutôt rares dans la profession... Prompt dans la répartie souvent cinglante, ce qui lui valut beaucoup d'ennemis, et pourtant fidèle en amitié. Ne s'en laissant pas conter et prodigieux conteur, lui venu des Indes – du Penjab – pour s'établir au Royaume-Uni. Une bibliothèque immense : ce qui importe, disait-il, est moins d'avoir lu tous les livres que de vivre en leur compagnie. Une curiosité inlassable pour toutes les cultures, pour toutes les formes de l'art, la peinture surtout : jeune homme, il avait connu Braque, Matisse, fréquenté Adrien Maeght. Une connaissance inégalée de la littérature psychanalytique – il avait été longtemps « éditeur associé » du très officiel International Journal of Psycho-Analysis et de la prestigieuse International Psycho-Analytical Library – et une manière unique, inimitable, devenue avec le temps de plus en plus distante de toute orthodoxie, de pratiquer la psychanalyse. Tous ceux qui ont approché Masud Khan, que ce soit comme patient, collègue ou ami, ont subi l'attrait du « personnage » (c'était un de ses termes favoris). Ils ont été captivés, ou irrités, par sa singularité, sensibles à une manière, osons le mot, de génie. Mais aucun d'eux ne peut se vanter d'avoir connu la personne.
Christopher Bollas, qui fut un de ses proches, rappelle, dans l'hommage sans complaisance qu'il lui a rendu, qu'un des aphorismes persans préférés de Masud Khan était le suivant : « Où suis-je sinon dans ce lieu d'où ne me parvient aucune nouvelle, fût-ce de moi ? » Cette question qui fut assurément la sienne propre est, à en juger cette fois par ses écrits (The Privacy of the Self, 1974, trad. franç. Le Soi caché, 1976), toujours présente dans son travail clinique : comment atteindre, comment révéler le « soi caché » ? L'influence de Winnicott – un de ses analystes demeuré, plutôt que son maître, son interlocuteur intime – fut à cet égard décisive, et Masud Khan n'a cessé de reconnaître sa dette à son endroit. Le « soi caché » est bien proche de ce que Winnicott nommait le True Self ; la Privacy est ce lieu protégé, plus que secret, qui doit être respecté sous peine d'intrusion, la non-intrusion étant tenue par Winnicott pour une qualité exigible de l'analyste... et de la mère (unobtrusive mother). Et, quand Masud Khan oppose au texte du rêve, celui qui a retenu l'attention de Freud, l'expérience et l'espace du rêve, il prolonge ce que Winnicott a pu écrire de la « capacité de rêver », plus importante à ses yeux que le produit final offert à l'interprétation. Masud Khan aussi se méfiait des experts en décodage et, quel que fût son intérêt pour la psychanalyse française (il fut, dès l'origine, « corédacteur étranger » de la Nouvelle Revue de psychanalyse) et pour les jeux du langage, il ne perdait jamais de vue que seule l'épreuve de la cure, aussi bien pour l'analyste que pour le patient, est instrument de découverte. Freud, à ses yeux, était grand moins pour avoir créé la métapsychologie que pour avoir inventé un « cadre thérapeutique ». Se référer à la régression, au transfert même, surtout quand on n'y voit qu'une répétition du passé, une remise en scène des figures prototypiques de l'enfance, ne lui paraissait pas suffisant. La question revient chez lui, insistante : pourquoi l'autre est-il indispensable pour pouvoir devenir soi-même ? Pourquoi, pour éprouver et reconnaître l'étranger en moi, ai-je besoin d'un autre étranger ? Ce serait là le paradoxe et la vertu du dispositif analytique, où le take care of (prendre soin, se soucier de...), à ne pas confondre avec la « bonté » (Masud Khan ne ménageait par ses patients,[...]
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Écrit par
- Jean-Bertrand PONTALIS
: agrégé de philosophie, membre titulaire de l'Association psychanalytique de France, directeur de la
Nouvelle Revue de psychanalyse et de la collection Connaissance de l'inconscient aux éditions Gallimard
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