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ALEMÁN MATEO (1547-env. 1615)

Le chef-d'œuvre de Mateo Alemán, Guzmán de Alfarache, occupe une place de première importance dans l'histoire de la littérature et doit être considéré comme une des premières formes du roman européen. Édité plus d'un demi-siècle après le Lazarillo de Tormes, demeuré anonyme, précédant de quelques années le Quichotte ainsi que la soudaine éclosion d'un petit groupe de récits picaresques, il est, en outre, situé à un carrefour de l'histoire littéraire et semble recueillir, avec le legs d'une littérature de miscellanées, l'encombrant héritage du mouvement humaniste. Les excès mêmes auxquels se sont livrés pendant trois siècles adaptateurs, traducteurs et éditeurs, dans des directions opposées et suivant des perspectives contradictoires, prouvent assez qu'il constitue bien une œuvre de transition : encore accablé par tout l'héritage du xvie siècle, spontanément et avidement accepté, le Livre du Gueux porte en effet en germe le roman moderne.

L'auteur

On retiendra plus particulièrement des rares documents que nous possédons sur la vie de Mateo Alemán son existence relativement mouvementée, son caractère tourmenté et instable. Son père, Hernando Alemán, qui obtint en 1557 la charge de médecin chirurgien de la prison royale de Séville, épousa en secondes noces doña Juana de Enero, descendante elle-même d'une famille florentine immigrée à Séville ; il en eut trois enfants, Léonore, Violante, Mateo. Dans une nation obsédée par les interdits sociaux, cette filiation pèse de tout son poids sur l'existence d'un homme qui accumula les échecs et dont l'œuvre majeure exprime le refus d'accepter le cadre de la société espagnole contemporaine.

Après avoir fait ses humanités sous la férule probable de Juan de Mal-Lara, disciple lui-même d'Hernán Núñez, de León de Castro et de Francisco de Escobar, reçu bachelier en arts et philosophie en 1564, Mateo commence à Séville des études de médecine qu'il continue à Salamanque (1565-1566) et à Alcalá de Henares (1566-1567), et qu'il interrompt à la mort de son père (mars 1567). Il fait un mariage forcé en 1571 et occupe jusqu'en 1580 des emplois divers et médiocres. (On le trouve, en 1576, chargé de recouvrer les traites foraines sur la laine à l'octroi de Séville ; en 1578, il rédige les statuts d'une confrérie de la ville.)

Il choisit en 1580 une nouvelle voie et s'inscrit à la faculté de droit de Séville, avant d'être tenté par l'aventure (il sollicite en vain, en 1582, l'autorisation d'émigrer aux Indes). Sa formation juridique lui vaut d'être intégré dans l'administration : commissionné en Estrémadure, en 1583, pour enquêter sur la gestion d'un fonctionnaire décédé, sa conduite imprudente, les abus de pouvoir dont il se rend coupable déchaînent l'hostilité d'un petit groupe d'hommes qui en appellent directement au roi. Cette affaire, qui se termine par l'arrestation d'Alemán, n'interrompt pas sa nouvelle carrière. Il occupe pendant vingt ans un emploi décent à la Chambre des comptes (contador de resultas) et on lui confie plusieurs missions à l'extérieur de la capitale (en 1591, à Carthagène ; en 1593, à Almacén, où il enquête sur les conditions de travail des galériens employés à l'exploitation du mercure).

Revenu à Séville en 1601, séparé de sa femme, il vit dès la fin de l'année suivante avec doña Francisca Calderón. En dépit de la protection d'un cousin, J. B. del Rosso, Alemán, privé apparemment de sa charge, est peu à peu réduit à la misère et il envisage à nouveau de s'expatrier. Il parvient à s'embarquer, en juin 1608, pour le Mexique, accompagné de sa jeune maîtresse qu'il fait passer pour sa fille. Installé à Mexico, il y termine un traité sur l'orthographe (1609) et vit dans l'entourage[...]

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Écrit par

  • : docteur d'État, professeur titulaire à l'université Paul-Valéry, Montpellier

Classification

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  • ESPAGNE (Arts et culture) - La littérature

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