MATÉRIALISME
Matérialisme et philosophie de la nature au XVIIIe siècle
Le mot matérialiste apparaît, semble-t-il, pour la première fois en 1675, sous la plume de Boyle (1627-1691). Savant, physicien et chimiste, celui-ci est un des créateurs de la science expérimentale ; les Anglais appellent loi de Boyle ce qu'en France on nomme loi de Mariotte, découverte simultanément par les deux hommes de science. En même temps qu'un savant, Boyle est aussi un croyant qui instituera par testament de célèbres conférences destinées à la défense et à l'illustration de la foi chrétienne.
Au xviiie siècle, l'atomisme et le mécanisme sont des hypothèses scientifiques généralement admises ; le matérialisme est une doctrine philosophique qui s'appuie sur la théorie corpusculaire, mais généralise et systématise les données scientifiques. L'opposition entre le matérialisme et l'idéalisme entre dans les mœurs et le langage de la littérature au début du xviiie siècle ; on la trouve, par exemple, dans un texte de Leibniz datant de 1702. Selon le philosophe allemand Christian Wolff, « on appelle matérialistes les philosophes selon lesquels il n'existe que des êtres matériels ou corporels ».
Dans cette situation nouvelle, il faut distinguer désormais entre le langage de la représentation scientifique du monde, reconnue par tous les intéressés, et qui met en œuvre une matière sans matérialisme, et, d'autre part, le discours de ceux qui, extrapolant ce premier langage, professent une métaphysique de la matière. Les penseurs du xviie siècle, à la seule exception de Hobbes, limitent la portée de l'explication corpusculaire au seul univers matériel. Descartes admet la possibilité d'un mécanisme strict dans l'ordre de la substance étendue, y compris le corps humain, auquel est attribué le statut d'animal-machine ; mais il réserve les droits de la substance pensante, soumise au régime d'une intelligibilité spécifique, ce qui assure une pleine liberté au développement du spiritualisme cartésien. La solution dualiste n'est d'ailleurs pas simple ; la difficulté sera de réunir dans l'unité humaine ce qu'on a si parfaitement dissocié, et l'on peut penser que l'auteur du Discours de la méthoden'y est pas parvenu.
La philosophie matérialiste du xviiie siècle recueille volontiers, avec La Mettrie, par exemple, l'héritage cartésien de l'animal-machine, mais rejette le dualisme comme inutile et d'ailleurs inintelligible. La substance pensante représente une superstructure qui pose plus de problèmes qu'elle n'en résout. La nouvelle philosophie de la nature sera résolument moniste, c'est-à-dire qu'elle ne reconnaîtra, dans la réalité totale, qu'un principe unique d'action, identifié à la matière des théories corpusculaires. Ce principe fournit l'explication complète non seulement des phénomènes physiques, mais encore des réalités sociales et mentales. Ainsi pourra être mené à bien un nettoyage par le vide de toutes les influences en lesquelles se perpétue le souvenir des théologies et des métaphysiques périmées. La philosophie expérimentale, à l'école de la recherche scientifique, ne retient que les forces concrètement à l'œuvre dans l'univers. Or il n'y a pas d'autre univers réel que l'univers matériel.
Le matérialisme du xviiie siècle est un radicalisme philosophique ; c'est une philosophie de combat. La causalité naturelle élimine toute finalité de caractère providentiel ; l'idée d'un Dieu transcendant, créateur et organisateur, fait place à celle d'une Nature soumise à sa législation interne, dont la régulation suffit pour justifier l'ensemble des faits et des comportements observables. Il s'ensuit que l'homme, une fois qu'il aura pénétré le secret de l'action des forces naturelles,[...]
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Écrit par
- Georges GUSDORF : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Strasbourg
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