MATÉRIAU, musique
Ce que l'on nomme matériau musical recouvre tout ce qui sert de « matière première » à l'écriture : l'harmonie, l'intervalle, le timbre, le rythme, la forme... Ce terme n'est apparu dans le vocabulaire musical occidental que récemment, lorsque l'évolution du langage, changeant les fonctions harmoniques du système tonal, entraîna une révision de tous les paramètres jusqu'alors usités, qui avaient été conçus en fonction de la pensée tonale. Pour tenir compte de la nouvelle donne harmonique, le concept de développement changera de signification et les formes liées à la tonalité se verront peu à peu abandonnées. C'est ainsi que Schönberg, renonçant aux répétitions, à la symétrie formelle et à la pulsation rythmique se trouvera dans l'obligation d'inventer une nouvelle technique d'écriture lui permettant de renouer, différemment, avec l'unité structurelle qu'avait su conquérir la tonalité... Et ce sera la variation continue qui s'interdira la répétition littérale. En se transformant, la syntaxe va entraîner la naissance de nouveaux paramètres, qui prendront le nom générique de matériau. Sous ce vocable se cachent aussi bien les clusters de Henry Cowell, les nuages sonores de Iannis Xenakis ou de György Ligeti, les objets sonores de Pierre Schaeffer que les séries « intégrales » de Pierre Boulez ou de Karlheinz Stockhausen. Et la liste est loin d'être exhaustive.
Tout matériau est donc contingent, car forme et contenu ne sont pas dissociables, puisque la forme se charge de sens musical – et rien que musical – au fur et à mesure qu'elle est investie. De fait, si la notion d'œuvre renvoie à la totalité de l'univers musical, tous les paramètres, tous les concepts musicaux s'impliquent les uns les autres, et expliquer tel paramètre ou tel concept ne peut se faire qu'en fonction de tous les autres. Une mélodie, une succession d'accords sont des relations vivantes du matériau concret « mis en œuvre » au travers de concepts musicaux. Fiction du dire, fiction du langage, la musique s'offre ainsi comme une pensée concrète et non pas comme une connaissance conceptuelle. Mais la notion de matériau permet de comprendre comment fonctionne l'art au sein de son évolution historique. À bien y regarder, la conscience du matériau précède en effet toujours celle de son intégration à la combinatoire, c'est-à-dire aux diverses règles qui vont s'établir et structurer l'écriture. Ce qui signifie que le compositeur conquiert des éléments du langage musical et en use dans ses œuvres avant de théoriser ses conquêtes. Nous citerons, à titre d'exemple, l'accord de neuvième (cf. harmonie), dont Robert Schumann fut le premier utilisateur, dont Richard Wagner et Franz Liszt généraliseront l'emploi, et qui ne sera complètement intégré au langage harmonique de la tonalité qu'avec Gabriel Fauré et Claude Debussy.
Il est un autre enseignement tout aussi important et qui a des incidences sur notre façon d'aborder une œuvre. De fait, force nous est de reconnaître que la seule mesure d'appréciation qualitative d'une œuvre, y compris et surtout lorsqu'elle est contemporaine, passe par le crible du rapport le plus adéquat entre le matériau, son traitement technique et la pensée du créateur. C'est pourquoi la problématique du créateur occidental réside à la fois dans le choix de son matériau (en raison des qualités qui lui sont spécifiques) et dans le sens que celui-ci confère à la technique qu'il lui applique. Mais le sens n'en reste pas moins uniquement musical : il naît des rapports sonores, autrement dit du concret manifesté au travers du matériau compositionnel choisi, et non pas sur le papier, in abstracto.
Si le matériau n'est certes pas toute la musique, il[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Alain FÉRON : compositeur, critique, musicologue, producteur de radio
Classification
Autres références
-
BRUIT, musique
- Écrit par Alain FÉRON
- 1 512 mots
Les compositeurs ont toujours manifesté un intérêt pour les sonorités étranges, pour des timbres agressifs, pour des combinaisons sonores originales considérées comme expression musicale à part entière, et l'utilisation du bruit – ou, plus généralement, des bruits – dans les œuvres musicales est une...
-
PROCESSUS, musique
- Écrit par Alain FÉRON
- 539 mots
L'utilisation du terme « processus » est relativement récente en matière musicale : sans doute a-t-il été employé pour la première fois par John Cage au début des années 1950 pour particulariser les outils techniques nécessaires à la concrétisation d'une œuvre fondée sur le hasard,...
-
ULTRACHROMATISME
- Écrit par Alain FÉRON
- 976 mots
Le Mexicain Julián Carrillo (1875-1965), le Tchèque Alois Hába (1893-1973) et le Français d'origine russe Ivan Wyschnegradsky (1893-1979) sont, dans les années 1920, les véritables défricheurs ainsi que les premiers théoriciens de la musique ultrachromatique, caractérisée par l'emploi...