MATÉRIAUX
Du bois comme modèle aux néo-matériaux
Le bois – le premier d'entre eux – mérite pourtant un peu plus de crédit, en dépit de ses « veines » ou de ses « nœuds ». Un moderne, Roland Barthes, l'a célébré – de même qu'un poète, Francis Ponge, qui a également valorisé la pierre. Roland Barthes écrit : « Le bois ôte, de toute forme qu'il soutient, la blessure des ongles trop vifs, le froid chimique du métal. Lorsque l'enfant le manie et le cogne, il ne vibre ni ne grince, il a un son sourd et net à la fois. C'est une substance familière et poétique qui laisse l'enfant dans une continuité avec l'arbre, la table, le plancher. Le bois ne blesse ni ne se détraque. Il ne se casse pas. Il s'use, peut durer longtemps, vivre avec l'enfant, modifier peu à peu les rapports de l'objet et de la main. S'il meurt, c'est en diminuant, non en se gonflant comme ces jouets mécaniques qui disparaissent sous la hernie d'un ressort détraqué. Le bois fait des objets essentiels, des objets de toujours » (Mythologies, p. 60). Nous y insistons, parce que, pour nous, la culture (la technique, la science, l'art, la littérature) devrait nous réconcilier avec les divers constituants. Il importe surtout de mettre un terme à l'ancienne philosophie dépréciative des Grecs, d'autant plus que le monde moderne a renversé l'essentiel de sa théorie : les possibilités ou les exploits dépendent des « supports ». D'ailleurs, la civilisation – les âges du bois, de la pierre, du bronze, du fer, du cuivre, etc. – porte le nom des moyens qu'elle met en œuvre. Preuve que « ce ne sont pas les idées qui mènent le monde » !
Ainsi ce bois – même si on l'a dépassé et si on peut s'en dispenser – n'en demeure pas moins un « modèle ». N'allie-t-il pas à la fois la dureté et la possibilité d'être fendu ? N'est-il pas suffisamment tendre pour qu'on puisse l'évider, le tailler, le raboter, bref le façonner ? N'est-il pas également flexible ou déformable, en même temps que résistant ? On ne devrait d'ailleurs pas traiter du bois en général tant il varie selon les essences des arbres d'où on l'a extrait. On n'oubliera pas qu'il a été, avant ce qu'on nomme la civilisation ou la révolution industrielle (l'âge du fer), le constituant des machines : les roues des moulins, les engrenages des treuils, les poulies, les arbres porte-hélices des navires, voire la machine à filer d'Arkwright. On a noté que les gravures de l'Encyclopédie de Diderot ne le détrônent pas encore. On l'a même préféré, au début, aux métaux à cause du peu d'efficacité des lubrifiants dont on disposait (des graisses animales visqueuses). Les bois qu'on taillait – principalement le gaïac venu du Mexique – se caractérisaient par leur densité ainsi que par leur dureté. Ils semblaient ne pas céder à l'humidité, ne se fendaient pas. L'un des meilleurs connaisseurs des « systèmes techniques » et des matériaux le mentionne : « Longtemps on produisait du mauvais fer et même souvent du très mauvais fer, irrégulier, cassant, difficile à souder [...]. Le travail du métal, exécuté avec des outils à main, était en outre plus long et beaucoup plus coûteux que celui du bois » (Bertrand Gille, Histoire des techniques, Encyclopédie de la Pléiade, p. 693). Le même auteur déclare plus loin : « Il ne faut rien exagérer ; à la fin du xviiie siècle, le fer est encore peu apprécié par rapport au bois » (ibid., p. 715). C'est d'ailleurs la pénurie du bois qui obligera le plus à son remplacement : moins ses « manques » que son manque !
Enfin, il sera supplanté. La sidérurgie utilise la machine à vapeur et celle-ci ne peut – le système y oblige – se dispenser[...]
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Écrit par
- François DAGOGNET : professeur à l'université de Paris-I.
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