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L'artiste et le philosophe face au matériau

De son côté, l' art participe à cette évolution. Il n'a jamais cessé de bénéficier des « changements du monde », en même temps qu'il les appelait et donc les favorisait. Une de ses tâches actuelles consiste précisément à exposer la richesse phénoméniste des textures les plus diverses et à nous les rendre familières. Ainsi Jean Dubuffet a commencé par révéler (dans Lieux momentanés, 1952 ; Pâtes battues, Célébrations du sol, 1958 ; Assemblages d'empreintes, 1953 ; Pierres philosophiques, 1952 ; Mirobolus, Macadam et Cie, 1942, etc.) tout ce que contiennent les terres ou les magmas les plus apparemment informes – des graviers, des brindilles, des résidus, des sables, des rebuts –, mais il s'orienta ensuite vers les productions industrielles. Renato Barilli (« Naissance et signification de l'Hourloupe », in L'Herne, numéro sur Jean Dubuffet, 1973) l'a bien perçu : « Le souvenir des choses et des objets naturels est trop profondément ancré dans tout notre organisme pour que l'on puisse y renoncer facilement. Mais, désormais, le nouvel engagement de l'artiste consiste à les refaire – choses et objets – et à en retrouver les notions mieux que ne sait le faire la nature et surtout à partir d'une base entièrement artificielle. » Effectivement, l'Hourloupe, pour ses volumes géants et contournés, glorifie à sa manière le polystyrène expansé, léger, facile à découper et à assembler – ainsi que les résines époxy – et la peinture polyuréthane (de là, des couleurs violentes et même criardes). Avec ce moyen grouillant et quasi aérien, Dubuffet élèvera des constructions monumentales – à insérer dans le paysage ou dans la ville. Par certains côtés, ce simulacre – simulation –, celui des arbres, par exemple, à New York, jette l'équivoque. Mais il s'agit à la fois de combattre la vieille culture et d'en glisser, au milieu d'elle, une nouvelle. Parfois, le plasticien se contente d'assumer un matériau délaissé, ou il assiste à son « retour » qu'il fête. Ni le bois, ni le carton, ni le crin, ni les fibres n'ont été épuisés. Ainsi A. Tàpies s'est longuement expliqué sur son choix de la paille : « Réfléchir sur la paille ou sur le fumier est peut-être aujourd'hui de quelque importance. C'est méditer sur les choses premières, sur l'essence de la nature, sur l'origine de la force et de la vie. C'est pour cela qu'il faut aussi se rappeler qu'il existe encore de par le monde beaucoup de grabats de paille et que l'artiste leur porte plus d'intérêt qu'aux lits des dieux ou de leurs envoyés ou qu'à ceux des riches qui les adorent » (La Pratique de l'art, Gallimard, 1971, p. 276). Ailleurs, on usera de feuilles de plexiglas ou de bois calciné ou de trames variées.

On ne peut nier que d'autres travaillent en sens contraire : ils ne valorisent que l'ancien. Ainsi, Roland Barthes ne désarme pas : « Un objet luxueux tient toujours à la terre, rappelle toujours d'une façon précieuse son origine minérale ou animale, le thème naturel dont il n'est qu'une actualité. Le plastique est tout entier englouti dans son usage [...]. La hiérarchie des substances est abolie : une seule les remplace toutes. Le monde entier peut être plastifié et la vie elle-même puisque, paraît-il, on commence à fabriquer des aortes en plastique » (« Le Plastique », in Mythologies, 1957, p. 194). Et, malgré ses noms de berger grec (Polystyrène, Phénoplaste, Polyvinyle, Polyéthylène), R. Barthes le regarde de façon noire et négative ; il symbolise la fausseté et le prosaïsme. Au passage, qui se plaindrait que le chirurgien puisse remplacer nos artères ou nos bronches usées par des élastomères renforcés[...]

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