CRUCY MATHURIN (1749-1826)
La continuité qui caractérise la carrière de Mathurin Crucy s'appuie sur l'attachement exclusif que cet artiste a voué à sa ville natale, Nantes. Élève de Jean-Baptiste Ceineray, Crucy gagne ensuite Paris où E. L. Boullée le reçoit dans son atelier. Le second prix qu'il obtient au concours de l'Académie, avec ses dessins de Pavillon pour le palais d'un souverain (1773), révèle une conscience et un savoir-faire déjà remarquables que confirmera ensuite le grand prix qui lui est décerné pour son Projet de bains publics d'eau minérale (1774). Ce projet, qui demeura exposé plusieurs années dans la salle de l'Académie, consacrait le talent de dessinateur de Crucy, mais il témoignait aussi de l'engouement, alors naissant, pour des compositions colossales et expressives dont Boullée professait la théorie, appuyée sur de nouveaux programmes d'édilité. Condisciple du peintre Louis David à l'Académie de France à Rome (1775-1778), Crucy étudie l'architecture antique ainsi que les grands exemples de la Renaissance. À l'issue de son séjour et après un voyage d'une année à travers toute l'Italie (1779), où il se prend d'une grande admiration pour Palladio, il rapporte un Album de dessins de relevés de Saint-Pierre de Rome (Bibliothèque nationale, Paris). En 1780, Crucy est nommé architecte voyer de Nantes à la place de son ancien maître, Ceineray. Cette fonction, auparavant modeste, allait être valorisée par la mise en œuvre de grands travaux d'extension urbaine. Si notamment Bordeaux, Marseille, Le Havre, Besançon font encore appel à des architectes parisiens, à Nantes, l'architecte voyer est tout-puissant dans son domaine. La ville, au sommet de sa croissance économique, devient un vaste chantier dirigé par Crucy qui donne les plans des édifices publics, des places et des nouvelles rues à percer. L'extension, amorcée par les premiers travaux de Ceineray à la périphérie du vieux centre et le long des quais de la Loire, s'amplifie sous la direction de Crucy par la création d'un nouveau centre à l'ouest, du côté du port. Entre 1780 et 1800, Crucy donne les plans de nombreux édifices dont il conduit les travaux : halle aux poissons et quais à l'est de l'île Feydeau (1783), grand théâtre et immeuble de la place Graslin qui lui font face (1784-1787), halle aux blés (1786), cours Cambronne (1787), place Royale (1787), immeuble et colonne place d'Armes (1786-1790), bourse de commerce (1790-1814), bains publics et quais à l'ouest de l'île Feydeau (1800). Nommé architecte du département (1809), Crucy donne encore les plans de l'ancien musée des Beaux-Arts et de la halle aux toiles (1821), ainsi que ceux de plusieurs églises rurales de Loire-Atlantique (le Loroux-Botterau, Sainte-Pazanne et la Chapelle-Heulin). À Clisson, il participe à la réalisation d'un ensemble de fabriques (temple de Vesta, temple de l'Amitié, etc.) dans la propriété du sculpteur F. Lemot qui, sur les rives de la Sèvre, crée un paysage à l'italienne, directement inspiré de Tivoli. La renommée de Crucy lui vaut enfin la commande de la reconstruction du chœur et de la nef de la cathédrale de Rennes, qu'il conçoit comme un immense vaisseau basilical, austère et impressionnant (il fut défiguré par une décoration au milieu du xixe siècle). Le style de Crucy, toujours élégant mais vigoureux, non sans sécheresse parfois, témoigne de la diffusion des modèles internationaux en province. Face aux théories utopiques, dont elle procède en partie, l'œuvre de Crucy, très individualisée, allie, dans une synthèse cohérente, l'interprétation palladienne, le fonctionnalisme expressif et la grâce hellénisante : elle s'impose comme l'exemple le plus complet d'un urbanisme néo-classique réalisé, en France, sur une grande échelle.[...]
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Écrit par
- Daniel RABREAU : professeur à l'université de Paris-I-Sorbonne, directeur du centre Ledoux
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