MATIÈRE/ESPRIT (notions de base)
Matière et forme
Mais, avant d’être une réalité métaphysique indépendante de la pensée, la matière est d’abord ce dont une chose est faite. C’est ce que nous révèle l’étymologie du mot, qui vient du latin materia, terme désignant le bois de construction destiné aux charpentes. En français comme dans les autres langues européennes, il renvoie donc à l’idée d’un substrat auquel un artisan donne une forme. C’est seulement avec les métaphysiciens que le mot prend le sens d’une réalité extérieure à la pensée et indépendante d’elle.
Aristote, renonçant aux spéculations idéalistes de son maître Platon, bâtit une conception de la matière centrée sur le premier sens du mot. La matière (hulè en grec) est le substrat informe auquel va s’appliquer une information. Aristote prend l’exemple du sculpteur donnant à un bloc de marbre brut la belle apparence de la déesse Aphrodite. Mais le concept de matière est un concept limite : dans le monde visible, toute matière « première » est en fait déjà informée. Le bloc de marbre, informe pour le sculpteur, est la forme que le travail du tailleur de pierre a arrachée à la carrière dont il l’a extrait.
Il convient d’ajouter que la matière, chez Aristote, est à la fois ce qui aspire à la forme (elle est « désirante comme la femelle désire le mâle », écrit-il dans sa Physique), et ce qui lui résiste. En tant qu’elle résiste à la forme, elle explique l’existence sur Terre de monstres et de phénomènes chaotiques, tandis que le Ciel est beau et ordonné. Mais, en tant qu'elle aspire à la forme, elle est comme une « puissance » qui cherche à s’accomplir et qui ne parviendra à cet accomplissement que lorsqu’elle sera informée en fonction de sa nature. C’est un modèle biologique qui inspire Aristote : l’œuf tend à devenir poule. Tout dans la nature aspire à atteindre sa perfection, son « entéléchie ». Coexistent donc dans la matière l’aspiration à la forme et la résistance à celle-ci. La nature étant éternelle, si cette résistance n’existait pas, le monde serait parvenu depuis longtemps à la perfection et se serait immobilisé dans un stade final. Seule la résistance de la matière explique que le mouvement ne s’arrête jamais.
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Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
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