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MATIÈRE/ESPRIT (notions de base)

L’atomisme, une combinatoire infinie

Mais comment nier que des processus matériels se déroulent indépendamment de tout esprit qui viendrait à les penser ? Si Aristote a raison de considérer que « la raison pense par repos et arrêt », une réalité spirituelle seule est-elle apte à nous offrir une telle sortie du devenir ? L’exploit intellectuel que vont accomplir les philosophes atomistes est d’identifier, dans des éléments matériels, les atomes, ou particules insécables, les principes éternels que les idéalistes croyaient ne pouvoir exister que dans l’esprit. Dans sa Lettre à Hérodote, Épicure note que « le mouvement des atomes n’a pas connu de commencement, parce que les atomes sont aussi éternels que le vide ». La nature est le fruit d’une combinatoire associant et réassociant des particules immuables pour produire tous les corps composés que nous observons. Dans l’espace infini, les atomes tombent verticalement, et il suffit que l’un d’entre eux dévie de manière infime de sa trajectoire – déviation que Lucrèce (94-56 av. J.-C.), disciple latin d’Épicure, appelle clinamen – pour que des chocs successifs engendrent des univers. La plus petite des causes produit le plus gigantesque des effets : les atomistes grecs annoncent l’« effet papillon » qu’ont mis en évidence, au xxe siècle, les théories physiques « du chaos ».

Quant à l’âme, son existence n’est nullement niée. Elle est composée d’atomes subtils qui se désagrègent à la mort du corps, une mort que nous n’aurions plus la moindre raison de craindre ainsi qu’Épicure y insiste dans ses lettres : « Comprenons donc que l’âme est un corps subtil répandu dans toute l’étendue de l’agrégat, l’organisme [...] Si elle était incorporelle, elle ne pourrait agir ni pâtir, or nous voyons avec évidence que ces deux accidents sont réellement éprouvés par l’âme. »

Cette hypothèse atomiste ne disparaîtra jamais vraiment du paysage intellectuel européen. Elle redevient dominante au xviiie siècle, avec Denis Diderot (1713-1784) – pour qui « il n’y a que la matière et elle suffit pour tout expliquer » (article « Spinoza » de l’Encyclopédie) –, avec Julien Offray de La Mettrie (1709-1751) – qui affirme dans L’Homme-machine (1748) qu’« il n’y a dans tout l’Univers qu’une seule substance diversement modifiée » – ou encore avec Pierre Jean George Cabanis (1757-1808) qui la présente de manière provocatrice : « Le cerveau sécrète la pensée comme le foie sécrète la bile » (1802).

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Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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