MATIÈRE/ESPRIT (notions de base)
Du dualisme de René Descartes au monisme de Spinoza
Paradoxalement, c’est un penseur qualifié d’« idéaliste », René Descartes, qui fut indirectement à l’origine de ce retour du matérialisme antique. Il eut en effet le mérite d’accorder à la matière une existence et une intelligibilité indépendantes de la pensée. En élaborant un dualisme radical, sans doute davantage méthodologique que métaphysique, René Descartes suppose l’existence d’un monde matériel radicalement différent des apparences sensibles, nées de notre esprit. Existent donc deux substances, et seulement deux, la substance pensante ou Res cogitans dont nous découvrons la réalité irréfutable à travers l’expérience du « Je pense » et, en dehors d’elle, la substance étendue ou Res extensa. Si Descartes parle d’étendue et non de « matière », c’est parce que la propriété fondamentale de la substance extérieure à notre conscience est la spatialité. « Sa nature [celle du corps] consiste en cela seul qu’il est une substance qui a de l’extension. » Descartes apporte sa caution philosophique à l’intuition de Galilée (1564-1642) pour qui « la nature est écrite en langage mathématique ». S’ouvre alors pour les hommes de science, qui peuvent mener à bien leurs programmes en toute autonomie, un champ infini d’observation et d’expérimentation.
Cependant, le dualisme cartésien vient buter sur l’union de l’âme et du corps. Nous sentons bien que nous ne sommes pas simplement l’addition de deux substances hétérogènes, mais bien une union : or Descartes ne peut que déclarer incompréhensible cette union. Mais s’il en est ainsi, n’est-ce pas l’homme qui échappe définitivement à la connaissance ?
La seule issue serait de considérer matière et pensée non comme des substances, mais comme des « attributs » de la Nature, ou de Dieu, comme des perspectives que notre statut d’êtres limités nous ouvre sur la réalité. Tel est le chemin emprunté par Baruch Spinoza (1632-1677) dans son Éthique (1677). C’est parce que nous percevons les chaînes causales matérielles indépendamment des chaînes causales intellectuelles que nous prenons les attributs de la substance pour la substance elle-même. Un peu comme si nous regardions deux images sur deux écrans de télévision, captées par des caméras différemment positionnées, et que nous prenions ces images pour des réalités. L’édifice spinoziste sera jugé par quelques-uns des neuroscientifiques de notre temps comme très supérieur au dualisme cartésien et à ses impasses. Ainsi Antonio R. Damasio, qui fut longtempsprofesseur de neurologie de l’université de l’Iowa, dénonce-t-il L’Erreur de Descartes (1994) et affirme : Spinoza avait raison (2003).
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Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
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