MATIÈRE ET MÉMOIRE, Henri Bergson Fiche de lecture
Atypique à son époque, l'œuvre de Henri Bergson (1859-1941) rompt avec les traditions issues du kantisme et de la métaphysique traditionnelle. Matière et mémoire, sous-titré « Essai sur la relation du corps à l'esprit », suit de sept ans sa thèse sur Les Données immédiates de la conscience (1889). Très au fait des recherches scientifiques de son temps, Bergson étudie le « rôle du corps dans la vie de l'esprit ». Pour lui, le cerveau en tant que matière – « une existence située à mi-chemin entre la „chose“ et la „représentation“ » – est un centre d'action, et non une collection de souvenirs. Organe qui permet le rappel du passé dans le présent en vue de l'action, jamais « il ne saurait faire naître une représentation ». Avec ce second ouvrage, Bergson engage la réflexion sur la voie d'une pensée de l'élan vital qui se confond avec les mouvements d'une liberté créatrice.
Le travail de la mémoire
Dans l'« Avant-Propos de la septième édition », Bergson écrit : « Ce livre affirme la réalité de l'esprit, la réalité de la matière, et essaie de déterminer le rapport de l'un à l'autre sur un exemple précis, celui de la mémoire. » Cette thèse en apparence dualiste, tout le livre va s'efforcer de la dépasser. En effet, les philosophes – qu'ils soient idéalistes ou matérialistes, et contrairement au sens commun –, ont dissocié matière et esprit, et opéré une réduction de la métaphysique à la physique. Le sens commun, lui, considère la matière en tant qu'image. Sa perception est aussi sélection et fixation. C'est à cette activité du corps qu'est consacré le premier chapitre. Le dernier et quatrième chapitre en tire les conséquences, tandis que les deux chapitres intermédiaires traitent de la relation de l'esprit au corps. Dans l'optique qui est la sienne, Bergson se rapporte à l'histoire de la philosophie de façon critique. Elle est pour lui, avant tout, un réservoir de problèmes ou d'hypothèses dont les solutions s'avèrent le plus souvent insuffisantes, quand elles ne sont pas source « d'obscurités artificielles ». Ainsi, ceux qui, comme Descartes, font de « l'union de l'âme et du corps » un « fait irréductible et inexplicable », tout comme ceux – « épiphénoménistes » ou « parallélistes » – qui considèrent « la pensée comme une simple fonction du cerveau » ou qui se bornent à constater un parallélisme entre matière et esprit, participent d'un même préjugé qui ne tient pas compte de la réalité.
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Écrit par
- Francis WYBRANDS : professeur de philosophie
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Média
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