MATIÈRE ET MÉMOIRE, Henri Bergson Fiche de lecture
Une pensée de l'image
Si l'on considère, en effet, la donnée centrale de la conscience, à savoir la mémoire, on ne peut que rejeter ces « hypothèses ». Le souvenir est d'une certaine façon la preuve que tout dans la conscience ne se joue pas au « présent du besoin », et donc qu'il y aurait bien dans le psychisme quelque chose de fondamentalement irréductible au corps. Dans le deuxième chapitre du livre (« De la reconnaissance des images. La mémoire et le cerveau »), Bergson va distinguer deux mémoires : la mémoire habitude acquise par simple répétition mécanique (lors de l'apprentissage, par exemple) et la mémoire singulière, non répétitive. « C'est en soi que le passé se conserve », et non dans le cerveau. Entre passé et présent, souvenir et perception, il existe une différence de nature : le passé se conserve intégralement, « en soi », alors que le présent passe. La matière n'est ni une chose purement extérieure et opaque (selon la conception réaliste) ni une simple représentation (selon la conception idéaliste) mais une « image » : une « image qui existe en soi », c'est-à-dire quelque chose qui « est avant la dissociation que l'idéalisme et le réalisme ont opéré entre son existence et son apparence. »
Les conséquences de telles analyses, reconnues par l'auteur lui-même comme difficiles, sont nombreuses : les rapports entre philosophie et psychologie sont rendus plus complexes. La philosophie doit aussi tenir compte des découvertes faites par les sciences de l'esprit : on verrait fort bien aujourd'hui Bergson s'intéresser aux découvertes des cognitivistes et des partisans d'un matérialisme tel que celui défendu par Jean-Pierre Changeux dans L'Homme neuronal. Dans le champ proprement philosophique, néanmoins, les questions ouvertes par Bergson ont encore un avenir, comme en témoignent les travaux de Gilles Deleuze.
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Écrit par
- Francis WYBRANDS : professeur de philosophie
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