MATIÈRE, notion de
La compréhension de la matière
Notre compréhension de la matière, si elle exige cette analyse en éléments (plus) simples et en niveaux successifs, ne peut s'y limiter. Car elle demande maintenant une phase de synthèse, permettant d'expliquer la constitution des objets propres à un certain niveau, en termes de propriétés des constituants du niveau sous-jacent. Le bilan, ici, est loin d'être satisfaisant. On peut même affirmer que cette reconstruction, à quelque niveau qu'on la considère, est pour l'instant embryonnaire, et, sans doute, restera très partielle.
Ainsi, déjà, le passage de la structure atomique de la matière à ses propriétés macroscopiques est-il peu évident. Certes, on comprend assez bien le rapport entre les formes des cristaux et les structures moléculaires ou atomiques pour les minéraux les plus simples, on sait expliquer pourquoi les métaux conduisent électricité et chaleur, et on peut ramener les apparences visuelles (couleur, éclat) des matériaux à certaines caractéristiques de leurs constituants microscopiques. Mais, aussi convaincantes soient-elles, ces explications restent très générales et ce n'est que dans des circonstances très précises, pour des corps particulièrement simples, que la théorie peut expliquer ou prédire avec précision les valeurs numériques de la densité, de l'indice de la dureté, etc., de tel matériau. Cette difficulté n'est pas limitée à l'explication précise de propriétés physiques particulières. Certains aspects majeurs de la matière macroscopique restent assez énigmatiques : ainsi l'impénétrabilité des solides, le fait qu'un caillou ou une montagne de granit aient la même densité, que la chaleur de fusion d'un morceau de glace soit proportionnelle à sa masse, etc. Il a fallu attendre les années 1970, pour établir que ces propriétés reposent sur le principe d'exclusion de Pauli auquel obéissent les électrons de la matière.
La situation, paradoxalement, est un peu meilleure au niveau de l'atome lui-même. Il est vrai que sa composition est plus simple : alors qu'un petit morceau de matière (tel un gravillon ou une brindille) comporte de l'ordre de 1024 atomes de nombreuses espèces, un atome ne comprend qu'un noyau et de un à quelques dizaines d'électrons, interagissant par des forces électromagnétiques bien connues. Si le calcul des propriétés atomiques est facile dans le cas de l'atome d'hydrogène, qui possède un seul électron, il devient pourtant déjà plus ardu et demande diverses méthodes d'approximation subtiles dès le cas de l'hélium, qui possède deux électrons seulement. Aussi, pour les atomes pourvus de quelques dizaines d'électrons, et a fortiori pour les molécules complexes, doit-on se contenter de résultats approximatifs et partiels qui n'en requièrent pas moins l'usage de moyens de calculs (matériels et logiciels) hautement sophistiqués.
Quant aux niveaux subatomiques, les problèmes rencontrés y sont rendus extrêmement difficiles par l'intensité des interactions mises en jeu et les subtilités qu'introduit la relativité einsteinienne dans la théorie. Pour rendre compte des propriétés des noyaux à partir de leurs constituants (les nucléons, les neutrons et les protons), on doit se contenter de modèles, variés mais disparates, et reposant sur certaines données purement empiriques. Leur ingéniosité ne doit pas masquer leur caractère incomplet. C'est d'ailleurs pour tenter de mieux comprendre les interactions nucléaires que les physiciens ont commencé à étudier le niveau subnucléaire, celui des particules qu'ils espéraient élémentaires. Toutefois cette nouvelle poupée russe, une fois ouverte, s'est révélée une véritable boîte de Pandore, dont se sont échappées des dizaines de particules inattendues et souvent éphémères. Loin de pouvoir aisément remonter au niveau des forces[...]
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Écrit par
- Jean-Marc LÉVY-LEBLOND : professeur émérite à l'université de Nice
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