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MATIÈRE (physique) États de la matière

D'Aristote à Réaumur, au xviiie siècle, la nature des solides ou des fluides a posé de grandes énigmes aux savants de jadis. Les découvertes de plus en plus fines de la science moderne sur l'organisation des molécules et des liaisons atomiques dans les matériaux ou dans les composés étudiés au laboratoire, comme dans les corps ordinaires de la vie quotidienne, expliquent largement l'origine de ces difficultés historiques ; elles obligent à revoir certaines divisions simplistes, issues à la fois des limites de l'expérience quotidienne et des orientations schématiques ou grossières de disciplines scientifiques naissantes.

La division classique en états solide, liquide et gazeux est issue de la thermodynamique du xixe siècle. Elle dut subir une révision avec la découverte par les thermodynamiciens du xxe siècle de l'état critique, qui révélait une continuité de fait entre l'état gazeux et l'état liquide. On invoqua alors un état fluide, censé regrouper les états liquide, gazeux et critique, par opposition à l'état solide a priori mieux défini. Toutefois, dans la plupart des situations, la distinction entre liquide et gaz gardait tout son sens.

L'émergence dans le champ de la recherche des milieux extrêmement chauds obligea à introduire un quatrième état de la matière : l'état de gaz globalement neutre, mais constitué d'atomes ou de molécules ionisés, que l'on rencontre surtout en astrophysique (étoiles, ionosphères planétaires, aurores boréales, etc.) et dans un certain nombre de dispositifs industriels (ampoules au néon par exemple) ou militaires (bombe atomique). L'état ionisé se révélait si fondamentalement différent de l'état ordinaire de la matière qu'il méritait une nomenclature à part, le plasma. L'expression consacrée de « quatrième état de la matière » est équivoque : elle laisse entendre une proximité taxinomique du plasma avec l'état fluide ou l'état solide qui est davantage ancrée dans la traditionnelle nécessité d'une nomenclature que dans les faits scientifiques. Quand on décrit comme « état de la matière » l'état plasma, il faut être bien conscient que les concepts qui sous-tendent ce dernier sont presque sans rapport avec les attributs des états fluide et solide.

De son côté, la physique quantique a enregistré une série impressionnante de succès, dont le moindre ne fut pas la découverte des états supraconducteur et superfluide. Le superfluide quantique, lui aussi, fait éclater les catégories héritées d'une autre époque.

Mais à l'intérieur même des catégories habituelles fluide et solide, et sans aller jusqu'à invoquer des effets quantiques, des distinctions essentielles ont vu le jour, qui remettent en cause l'expérience quotidienne. En effet, le verre ordinaire, par exemple, quoique parfaitement solide au premier abord, se révèle posséder une structure bien plus proche de celle d'un liquide que de celle d'un quartz ou d'un grenat (cristaux typiques). À l'opposé, certains liquides sont constitués de molécules régulièrement ordonnées, ce sont les cristaux liquides. On parle parfois d'état mésomorphe pour ce type de corps, ce qui signifie état « intermédiaire » (entre liquide et solide). En découvrant, ou en inventant des corps nouveaux possédant, à l'état fluide, de nombreuses propriétés des solides ou, à l'inverse, des corps solides présentant la plupart des attributs des fluides, la science moderne a fait éclater les catégories recouvertes par les expressions état solide ou état fluide. À quel état rattacher une mayonnaise, une mousse, une peinture qui ne coule pas ? La physique des gels, celle des milieux dispersés, des argiles, des polymères ou des colles a permis de jeter une lumière sur des états de la matière qui,[...]

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Écrit par

  • : chargé de recherche au C.N.R.S., laboratoire de physique de la matière condensée, École polytechnique, Palaiseau

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États désordonnés de la matière - crédits : Encyclopædia Universalis France

États désordonnés de la matière

Éolipile - crédits : D.R.

Éolipile

États de la matière - crédits : Encyclopædia Universalis France

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