MATIÈRE (physique) Vue d'ensemble
Le mot « matière » cache sous sa généralité abstraite une origine concrète fort éclairante. En latin archaïque, materia appartient à la langue rustique et désigne la substance dont est fait le tronc de l'arbre, en tant qu'elle est productrice (de branches, de feuilles). L'élargissement successif des sens du mot, d'abord dans la langue commune, à des matériaux variés, puis, dans la langue philosophique, ne doit pas faire oublier son contenu initial : la matière reste la matrice commune où s'engendrent les multiples et divers objets du monde. La notion de matière, pour la physique de l'âge antique, désigne la substance commune à tous les « corps », considérée indépendamment des propriétés spécifiques qui les différencient.
Après la redécouverte au xviie siècle de l'atomisme antique (Démocrite, Épicure, Lucrèce), la matière sera pensée comme composée d'éléments discrets et localisés, séparés par le vide – les atomes, dont le xixe siècle achèvera de conforter l'idée. C'est ainsi qu'on rendra compte des changements d'état de la matière en termes de configurations spatiales des atomes : sera dorénavant considéré comme « matière » tout assemblage d'atomes (ou de molécules). Une réaction chimique, aussi bien qu'une transformation physique, n'étant rien d'autre qu'un réarrangement des atomes, c'est par la permanence de ces derniers que se trouve garantie la stabilité implicitement demandée à l'idée de matière.
Toutefois, cette victoire apparente d'une conception atomistique de la matière, faite d'éléments discrets dans un espace vide, est de courte durée. C'est autour de la lumière que tout se joue. Pourtant, mise au premier rang des « principes matériels » par les partisans d'Antoine Laurent de Lavoisier (1743-1794), la lumière en est écartée dès lors que sa nature corpusculaire est invalidée et remplacée, au début du xixe siècle, par une représentation ondulatoire. Puis émerge une nouvelle conception du champ électromagnétique, qui, privé de substrat et devant assurer sa propagation dans le vide, acquiert une matérialité propre. Cette conception s'étend tout naturellement au champ de gravitation. La physique classique repose ainsi sur l'existence de deux formes de matière irréductibles l'une à l'autre : d'une part des corps discrets et localisés (particules), d'autre part des êtres étendus et continus (champs).
Cette refonte sera à son tour remise en cause au xxe siècle par la théorie quantique qui ne reconnaît qu'un seul type d'objet : le quanton, ni onde, ni corpuscule, et qui, du coup, réunifie le concept de matière, mais en le transformant profondément. En même temps qu'était reconnue la nature (quantique) des éléments de la matière, c'est leur caractère élémentaire qui allait faire l'objet de remises en cause successives. Loin de faire apparaître un niveau constitutif et fondamental stable, l'analyse met en évidence plusieurs niveaux successifs de structuration de la matière, reposant sur l'existence de types d'interactions physiques bien différenciés. Dès 1911, Ernest Rutherford révélait la composition interne des atomes : un noyau central massif et très concentré, environné d'électrons (qui expliquent toutes les propriétés chimiques et lumineuses des atomes). Les structures des atomes, comme leurs échelles (tant spatiale qu'énergétique), sont entièrement gouvernées par les forces électromagnétiques. Puis, vers 1935, c'est le noyau qui se montrait constitué de nucléons (neutrons et protons), liés par l'échange de mésons (pions entre autres), sous l'effet de forces (nucléaires) d'un type nouveau. Enfin, ces quantons nucléaires eux-mêmes finirent par exhiber vers 1970 leur propre constitution, édifices de [...]
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Écrit par
- Jean-Marc LÉVY-LEBLOND : professeur émérite à l'université de Nice
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