- 1. L'hétérogène et l'homogène ou l'abstraction de la matière
- 2. La question des limites
- 3. Substance et apparence ; la transsubstantiation
- 4. Inertie et attraction ; les aventures de la quantification
- 5. Formes et forces ; la géométrie de l'invisible
- 6. L'idéalisation de l'espace cristallin ; un détour heuristique vers les structures moléculaires
- 7. De l'observation des molécules à la description de l'insaisissable ultime
- 8. Bibliographie
MATIÈRE
Inertie et attraction ; les aventures de la quantification
En tout état de cause, la nouvelle physique, pour être entendue, devait se déclarer fidèle à l'ontologie traditionnelle, c'est-à-dire admettre que tout est substance et attribut ; par voie de conséquence, elle excluait le vide, au sens de principe métaphysique, et de surcroît refusait à la matière toute activité intrinsèque ; elle déniait, a fortiori, toute action à distance excédant la seule force désormais inhérente, l'inertie. Combinée à l'axiome de l'impénétrabilité, cette force devait rendre raison de l'action réciproque des corps et des particules selon les lois du choc. Koyré a brillamment montré comment la mathématisation de la physique passe de loin une simple fonction adjuvante d'une science des qualités et qu'elle a positivement instrumenté la formalisation des phénomènes naturels. Cette attitude est à l'œuvre dans l'intuition fondamentale de Galilée, pour qui les lois physiques s'expriment par des rapports de grandeurs. Mais, en un sens, le pouvoir explicatif des mathématiques s'amenuise chez Descartes, dans la mesure même où il borne sa définition de la matière à la seule extension spatiale. Cette « géométrisation à outrance » répond sans doute à un désir prédominant, celui d'assurer la clarté et la distinction des idées. Le philosophe prétend bien, auprès de Mersenne (11 mars 1640), réduire toute la physique aux lois mathématiques, mais il avoue n'avoir pas livré les principes qui rendraient cette réduction actuelle. Lorsqu'il publiera, en 1644, ses Principia, il s'exposera inévitablement à la critique, ayant explicité le point de vue à partir duquel toute une génération de savants examineront les conditions de possibilité d'une physique quantifiable. Or Descartes, en forçant sur la rigueur de son exigence méthodique, risqua l'infécondité de son modèle théorique. Sa physique reposait, en effet, sur l'assimilation de la nature (des corps, du mouvement, etc.) à la condition de sa connaissance par l'entendement, qui se renfermait dans le seul recours aux idées claires et distinctes. L'existence coïncide avec le connu, en vertu de l'ordre méthodique du connaître ; c'est ainsi qu'il est impossible de penser la matière sans l'extension ; c'est ainsi qu'il faut dénoncer l'idée de matière sans étendue ; elle ne se soutient qu'à la faveur de recours aux termes de « substance immatérielle » ou de « forme substantielle », par exemple, toutes expressions confuses, partant rédhibitoires à la discipline cartésienne. De même, approcherons-nous distinctement la diversité des formes qui se rencontrent dans la matière, par le truchement des lois du choc et du mouvement local ; le travail du physicien, dès lors, consiste à se donner les moyens de l'explication par ces seules lois, appliquées à une matière étendue – ce qui conduira finalement Descartes à supposer sa théorie des tourbillons. Les difficultés inhérentes à ses conceptions le contraignirent encore à des formules étranges ; ainsi cet adage : « Rien ne se porte par l'instinct de sa nature à son contraire », qui paraît dans la justification que fait l'auteur du mouvement local et où un Gassendi ne se privera pas de renifler des relents d'aristotélisme.
Désormais, la progression « scientifique » des représentations de la matière achoppera sur le problème de l'action à distance entre corps, aux diverses échelles que la mécanique avait à considérer. Il convenait d'abord de présupposer à ce genre d'action un caractère de causalité extérieure à la matière, afin d'éviter l'accusation de « matérialisme » ; autrement dit, la gravité ne devait pas être tenue pour une « qualité essentielle » de la matière.[...]
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Écrit par
- Jacques GUILLERME : chargé de recherche au C.N.R.S.
- Hélène VÉRIN : docteur ès lettres, chargée de recherche au C.N.R.S.
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