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MATIÈRE

De l'observation des molécules à la description de l'insaisissable ultime

Max von Laue - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Max von Laue

En 1912, Max von Laue découvre la diffraction des rayons X par les cristaux ; on put, dès lors, entreprendre de se représenter métriquement la distribution « réelle » des corpuscules composant les solides. Le phénomène qui survient en raison de la proximité des longueurs d'onde des rayons et des distances réticulaires cristallines, désigne les plans de plus grande densité de « matière » qui sont corrélés aux plans de clivage ou aux faces des formes primitives des cristaux. De ce moment, les grandeurs absolues des intervalles entre corpuscules diffractants devenaient accessibles au prix de calculs – longtemps fastidieux – d'après les aspects des images de diffraction. La structure intime des solides est ainsi établie avec une bonne approximation ; si des parasitages affectent la finesse des enregistrements photographiques, ils proviennent des imperfections des appareils de mesure ; ils ressortissent encore à la présence d'impuretés, à des irrégularités ou dislocations microscopiques des réseaux cristallins, parfois encore à la coexistence de tautomères, du fait de conformations variables de molécules en principe identiques. La limite de la radiocristallographie tient, en effet, aux écarts que les corpuscules diffractants opposent à la régularité théorique des réseaux cristallins. La diffraction est en mesure de procurer des dimensions absolues là où la matière « obéit » à la régularité dont elle procure des exemples et suscite parfois le schéma directeur. Le travail aux rayons X a démontré la validité des représentations moléculaires ; il les rend, en quelque manière, sensibles. Mais, tout aussi bien, il en marque les bornes, suggérant des formes de structuration macromoléculaires, aux configurations complexes, qui invalident des notions aussi classiques que celle de poids moléculaire et qui explicitent, ce faisant, des états de la matière aux caractéristiques mésomorphes.

Même appareillée de dispositifs de mesure sensibles et perfectionnés, il y a une échelle d'intervention sur la matière qui relève de pratiques et de programmes que l'on peut qualifier de chimiques. Ainsi du domaine aux bornes indéfinies de la synthèse organique, dont l'idée de molécule constitue encore la référence primordiale. Autrement dit, d'innombrables conceptions et manipulations sont définies et mises en œuvre avec succès, sans que soit exposée ni doive être exposée l'indétermination sur des structures plus fines que l'échelon moléculaire.

L'existence des isotopes n'est pas un mince problème théorique et elle procure, en outre, des applications d'une grande portée ; mais en raisonner la distribution naturelle, en déterminer les stabilités relatives, en chercher les modes de production possibles, cela relève du domaine propre de l'atome et de l'analyse de ses constituants. Or la science de la matière se caractérise, depuis la fin du xixe siècle, par un déplacement continuel de ses objets et par un questionnement incessant sur la validité de ses propositions successives, étant entendu qu'à certaines échelles d'observation et d'intervention, essentiellement macroscopiques, les énoncés de la physique newtonienne et ceux de la chimie mendéléiévienne conservent leur utilité pratique. À plus d'un égard, ce bornage de niveaux cognitifs de la physique de la matière « brute » est à rapporter à l'échelonnement, pragmatique et épistémologique, des degrés de représentation de la matière organisée et vivante ; à cela près que l'idée d'organisation vitale introduit des éléments de fascination et de perplexité surrérogatoires. Cabanis rappelle en 1804, dans son Essai sur les révolutions (...) de la médecine, que « l'anatomie n'a point de bornes.[...]

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