MATISSE. CAHIERS D'ART, LE TOURNANT DES ANNÉES 30 (exposition)
Une métamorphose
La troisième salle de l’exposition portait sur la commande à l’artiste d’une grande décoration pour la Barnes Foundation à Merion, près de Philadelphie, en 1930 : ce sera La Danse, l’un de ses chefs-d’œuvre. Expérimenter l’échelle monumentale enthousiasme Matisse. Les commissaires montraient la genèse de l’œuvre : une première composition à l’huile sur toile remplacée par une maquette en papier gouaché selon un procédé inédit. Une grande esquisse à l’échelle, qui représente une figure issue de cette première composition, saisissait le visiteur par le mélange d’épure et d’énergie qui s’en dégage.
Le rôle du dessin et de la gravure dans l’art de Matisse au début des années 1930 était le sujet de la section suivante. Alors qu’il se détourne de la peinture de chevalet, les arts graphiques constituent un espace d’expérimentation stimulant. Les commissaires soulignaient la confrontation entre Matisse et Picasso − choc des titans un brin émoussé − sur laquelle on apprenait davantage dans le catalogue. Ce sont les recherches effectuées par Matisse pour deux livres illustrés (Poésies de Stéphane Mallarmé, 1932 ; Ulysse de James Joyce, 1934) qui suscitaient la curiosité, notamment pour la liberté prise avec les textes. De ces recherches naît en outre Nymphe dans la forêt (1935-1943, Nice, musée Matisse),dont les retouches faites par le peintre durant plusieurs années donnent à voir l’œuvre en création.
La cinquième salle, plus vaste, proposait de se concentrer sur les changements de méthode opérés par Matisse au cours de la décennie. Il commence alors à faire photographier, par Lydia Delectorskaya, son aide d’atelier devenue modèle en 1933, chaque étape de ses tableaux. Cette démarche n’est pas seulement documentaire. Elle est aussi de nature conceptuelle puisque les photos sont très tôt publiées en tant que telles dans les Cahiers d’art avant d’être exposées en 1945. Matisse procède ainsi pour Le Chant (1938, The Lewis Collection), un grand décor réalisé pour l’appartement de Nelson Rockefeller à New York. L’artiste revient également à la sculpture, alors que des œuvres d’avant-guerre ont été reproduites dans la revue de Zervos en 1928, puis présentées au public deux ans plus tard, suscitant l’admiration de Picasso. Aux Têtes d’Henriette en bronze répondent, par contraste, plusieurs portraits peints dans lesquels les formes sont puissamment aplanies (La Dame en bleu et mimosas, 1937, Philadelphia Museum of Art).
La dernière salle était une ode à la peinture retrouvée. Dans ces tableaux, exécutés entre 1936 et 1940, Matisse place des figures féminines dans des jardins d’hiver et sature l’espace de motifs ornementaux, d’animaux et de végétaux. Après dix ans de difficultés, il retrouve pleinement le plaisir de peindre. Mais bientôt, sa santé décline l’obligeant une nouvelle fois à réinventer sa pratique : ce sera la révolution des papiers découpés (Jazz, 1947).
On peut regretter que, pour étudier le tournant des années 1930, la perspective choisie, celle des Cahiers d’art, se soit révélée anecdotique, la pensée de Christian Zervos, son directeur, n’étant véritablement analysée que dans un court essai du catalogue. Ce défaut ne devait toutefois pas masquer ses nombreuses vertus qu’étaient la problématisation des enjeux esthétiques du travail de Matisse en cette époque singulière et des qualités de synthèse, servies par un cheminement muséographique efficace, grâce auquel on accédait à des œuvres issues de collections américaines, rarement vues en Europe.
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Écrit par
- Camille VIÉVILLE : docteure en histoire de l'art contemporain, historienne de l'art, auteure
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