BANDELLO MATTEO (1484-1561)
La rénovation de l'art de la nouvelle
Son recueil comprend 214 récits qui se divisent en quatre parties, de longueur et de qualité inégales. Les trois premières furent publiées à Lucques en 1554 et la quatrième, posthume, à Lyon en 1573. Elles sont agencées selon une structure souple et désarticulée, « sans ordre aucun », le seul critère de composition étant le souci de rendre la lecture agréable et variée. L'architecture traditionnelle à la manière du Décaméron est ici remplacée par des lettres-dédicaces précédant chaque nouvelle ; elles exposent en un style épistolaire élégant, mais qui n'exclut pas une familiarité et une spontanéité bon enfant, les circonstances et le cadre dans lesquels les nouvelles auraient été contées. Ce procédé littéraire, que des critiques sourcilleux ont cru devoir dénoncer comme une imposture, a l'avantage d'offrir au lecteur une vaste galerie de personnages de l'époque, depuis les plus célèbres : Léonard, Machiavel, Léon X, Isabelle d'Este, Jean des Bandes Noires, Castiglione, jusqu'aux obscures relations de l'auteur. On découvre de la sorte un panorama, riche en couleurs et en événements historiques ou biographiques, de la vie des cours, des salons, des cloîtres et des garnisons, telle que l'auteur l'a vécue et idéalisée. Outre leur valeur historique, en tant que reflet des réalités et des mythes de la société policée du xvie siècle, ces dédicaces présentent une grande originalité littéraire ; en situant chaque nouvelle dans un cadre « réaliste » et mondain, elles contribuent à personnaliser et à actualiser le récit, le public courtisan qui y est mis en scène jouant le rôle de relais entre l'événement conté et sa découverte par le lecteur.
Les nouvelles elles-mêmes sont en revanche traitées de manière nettement objective. Bandello en a recueilli l'abondante matière tout au long de sa carrière de moine courtisan, tirant ses sujets de ses nombreuses lectures et, plus rarement, de son expérience personnelle ; mais il leur donna sans doute leur forme définitive durant les dernières années de sa vie à Agen, où il subit l'influence de Marguerite de Navarre et des chroniqueurs français. Ces récits constituent une anthologie très éclectique des principaux registres de l'art de conter : farces et comédies populaires mises en scène avec une verve truculente jusqu'à la grossièreté, bons mots et facéties qui permettent à la société polie de l'époque d'exercer son esprit et son art de s'imposer par la culture, drames tragiques où la passion humaine expie ses égarements dans le sang, amples récits dans lesquels pointent le pétrarquisme et l'élégie, et qui prennent parfois l'allure de petits romans. La grande affaire des personnages de Bandello, c'est l'aventure galante, qui est représentée sous ses formes les plus variées : les principaux types de situations idylliques ou scabreuses et de gags cocasses que peut fournir l'amour éthéré ou charnel y sont exploités à satiété. L'auteur excelle dans la peinture de l'érotisme tantôt grossier, tantôt raffiné, mais il représente aussi la puissance tragique de la passion et évoque avec délicatesse les sentiments de la pudeur et de l'amour secret.
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Écrit par
- Adelin Charles FIORATO : professeur à l'université de Paris-Sorbonne
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