BANDELLO MATTEO (1484-1561)
Nouvelle et réalité
Causeur plaisant qui sait retenir l'intérêt du lecteur par l'agrément d'une narration sans cesse variée, Bandello n'est pas seulement un habile conteur de cour : il est le témoin d'un monde social en crise. En matière de morale, il énonce sans doute des préceptes libéraux de bon sens, qui révèlent une conception épicurienne et indulgente de l'existence ; mais à ce naturalisme viennent s'ajouter l'idéologie normative et le souci de restauration des temps du concile de Trente. Ses nouvelles n'expriment pas seulement la comédie de mœurs de quelques brillantes coteries de la Renaissance, elles montrent aussi le fonctionnement de mécanismes politiques et culturels, révélateurs des situations conflictuelles qui traversent la société italienne désorientée par les guerres d'Italie et les Réformes protestantes. On relève à cet égard un rapport significatif entre structures formelles et contenus idéologiques dans les Nouvelles de Bandello. Son penchant pour l'histoire tragique dans laquelle les individus ne contrôlent plus ni leurs passions ni la réalité extérieure, son intérêt pour le fait divers pathologique et criminel (nouvelle province que le conteur ouvre au genre de la nouvelle), sa conception d'une « fortune » aléatoire et irrationnelle, qui mène les hommes au hasard, transformant leur destin en « cas » aberrants et imprévisibles, sont autant d'indices qui renvoient aux incertitudes angoissées de la réalité contemporaine, aux perturbations qui ont bousculé l'ordre politique et idéologique antérieur. L'écriture de Bandello, à la fois « réaliste » et désarticulée, exprime bien ce sentiment « moderne » du fortuit et du contingent.
Il est remarquable que ce conteur puise assez peu aux sources de la grande tradition narrative italienne. Boccace est pour lui un maître auquel il rend hommage, mais dont il retient rarement la leçon. En revanche, Bandello a une vocation de notaire de la petite histoire romancée qui l'incite à recueillir avec une passion de collectionneur « les faits admirables qui adviennent au jour le jour ». C'est pourquoi il s'intéresse particulièrement aux événements exemplaires de la chronique ancienne et moderne, aux récits de voyages, aux annales, aux Mémoires, aux illustres aventures militaires ou amoureuses, ennoblies de préférence par la tradition historique ou littéraire. À ce goût de la chronique nourrie d'aventures individuelles le conteur ajoute une tension dramatique, servie par une narration analytique et extensive, qui confère à certaines de ses nouvelles une dimension romanesque. Nombre de ses récits, qu'ils reposent sur des situations réelles ou fictives, sont traités avec un souci maintes fois avoué de faire vrai, de créer une illusion de réalité et d'actualité. Le conteur a le sens des faits et de leur enchaînement ; émerveillé par la variété innombrable des vicissitudes de l'existence, il tisse avec aisance les fils de ses trames, excellant dans l'art de nouer une action et de la conduire, à l'aide de péripéties complexes, jusqu'à son dénouement. Remarquables à cet égard sont les nouvelles de type journalistique (celle de la comtesse de Cellant, de la duchesse d'Amalfi, de Simone Turchi), faits divers d'une brûlante actualité où Bandello déploie son art de gazetier qui s'attache à la trame nue du récit, au mépris de la psychologie et du style traditionnels. Cette attention aux faits que ne transfigure point l'imagination créatrice, cette indifférence à l'élaboration formelle et la conviction que « de telles histoires peuvent intéresser, quelle que soit la langue dans laquelle elles sont écrites », constituent à la fois l'apport original, mais aussi les limites du conteur lombard.
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Écrit par
- Adelin Charles FIORATO : professeur à l'université de Paris-Sorbonne
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