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GARRONE MATTEO (1968- )

Un art du grotesque

Reality propose une nouvelle exploration de Naples, cette fois sur un ton de comédie, Garrone ayant clairement affirmé qu'il souhaitait s'éloigner de l'austérité de Gomorra. Le héros, Luciano, est un poissonnier des fameux quartieri spagnoli de la ville, où le petit peuple vit dans de merveilleux bâtiments devenus avec le temps insalubres et branlants. Il est poussé par ses enfants à se porter candidat pour le casting de « Il Grande Fratello », la plus populaire des émissions de télé-réalité en Italie. La première partie du film conte ses approches successives vers la sélection dont il rêve de manière obsessionnelle. Dans un deuxième temps, l'échec devient évident et Luciano perd peu à peu la raison.

Les images de Garrone sont à nouveau extrêmement sophistiquées. Le plan-séquence qui ouvre le film commence par un long balayage aérien qui montre la ville, la baie, le Vésuve, avant de se resserrer sur un carrosse de contes de fées qui pénètre dans une sorte de Disneyland pour mariages « de rêve ». Garrone expose ainsi son programme. Un portrait de Naples, « éternelle », peut-être, mais rendue folle par l'artifice d'un monde qui a perdu toute dignité, plongé qu'il est dans l'horreur et la vulgarité du spectacle tout-puissant. La force de Reality est de tenir la complexité de son propos pratiquement d'un bout à l'autre. D'une part, la tradition noble du spectacle napolitain, la grandeur de Polichinelle, à qui le comédien Aniello Arena fait sans cesse penser. Bavard, brillant, séducteur, un peu fourbe mais grand cœur, il devrait pouvoir résister à son rival ignoble, sans âme, le sinistre spectacle organisé de ce que Michel Leiris appelait la « merdonité ». Habité par une culture millénaire, l'une des plus fortes et des plus originales du continent européen, celle de Totò et des pazzarielli, entouré par une famille très nombreuse, obèse, solidaire, généreuse et babillarde, baigné par l'amour de sa femme, de ses enfants, de ses amis du quartier, de ses clients, Luciano devrait avoir la force de ne pas tomber dans ce piège-là. Mais la défaite est au bout de son chemin et cette bataille perdue est très touchante. La confrontation visuelle entre le décor antique de la ville et les supermarchés, parcs d'attractions et horribles monuments du kitsch industriel est très convaincante. Ce qui l'est moins est la tentative généreuse de Garrone de rappeler sans cesse la tradition de la commedia all'italiana d'il y a quarante ou cinquante ans. Dino Risi et ses Monstres, Ettore Scola et ses Affreux, sales et méchants, Federico Fellini et ses Romains grotteschi sont constamment évoqués. C'est une grande qualité du film : affirmer la dignité et la force morale de tous ces personnages apparemment « grotesques ». Mais la référence se révèle insistante et un peu gênante à la longue. L'autre faiblesse est l'étrange indécision qui marque les derniers moments du film. La défaite de Luciano est certes émouvante mais Garrone l'évoque avec moins d'énergie que son ascension illusoire vers la « sélection » télévisuelle, comme s'il était accablé lui-même par l'écrasement de son personnage principal.

Aniello Arena, qui a manqué de peu le prix d'interprétation à Cannes, est un acteur particulier. Il évoque par son talent Totò, Massimo Troisi et les autres grands comédiens napolitains du xxe siècle. Il purge depuis 1993 une peine de prison à perpétuité pour un triple assassinat lié à la Camorra. Aniello Arena dit qu'il a pitié aujourd'hui de cet assassin qu'il fut il y a vingt ans et qui a détruit sa vie.

Assimilation de l'héritage des anciens, tentation constante de la comédie, lucidité politique, formalisme assumé : il existe de grands contrastes entre L'Étrange Monsieur[...]

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