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ARNOLD MATTHEW (1822-1888)

Le professeur Arnold

Livré à lui-même, stimulé par l'exotisme persan ou la mythologie nordique, rehaussé par les comparaisons homériques et les effets de « style sublime », le classicisme n'a produit, dans la tragédie grecque de Merope, dans Sohrab and Rustum et Balder Dead que des exercices académiques et anémiques, une sorte de « poésie appliquée », illustrant moins la poésie que la chaire de poésie qu'Arnold occupa à Oxford, de 1857 à 1867. Le professeur de poésie se substitue alors au poète et, mis à part le recueil des New Poems de 1867, c'est désormais à la prose qu'il consacre les loisirs que lui laissent ses fonctions d'inspecteur, assez lourde servitude, acceptée, selon son petit-neveu Aldous Huxley, pour des raisons financières et aussi comme un geste philosophique. Ses déplacements en Grande-Bretagne et surtout ses missions sur le continent, France, Suisse et Allemagne, en l'arrachant à ses tendances mélancoliques élargirent sa curiosité intellectuelle – « savoir » paraissant plus important que « sentir ».

Ce besoin de lucidité, déjà présent dans sa poésie, est l'inspiration centrale de sa prose, la qualité maîtresse qui fait de Matthew Arnold un prophète et en même temps le critique le plus impitoyable de son propre pays, d'où cette remarque de Taine : « Si un critique comme vous parle ainsi de sa nation, que dirons-nous de la nôtre ? » Son cosmopolitisme, professé et vécu, l'emporte en effet sur son patriotisme et lui mérite le titre qu'il avait décerné fièrement à son père, celui d'« Européen ». Par là, il se rallie à l'idéal de Goethe, tout comme par son intelligence souple et désintéressée il s'apparente à Sainte-Beuve – poète lui aussi tué par le critique – car, explique Arnold à son excellent ami français, « dans un grand critique il y a toujours selon moi un grand poète quelque peu supprimé. Notre siècle est celui de la critique ». Matthew Arnold n'a pas la stature de notre Sainte-Beuve ; des préjugés moraux limitent une vision qui couvre cependant un vaste champ : politique, religion, psychologie, éthique où il fait figure, à côté de Taine et de Renan, d'amateur cultivé, mais un peu aventureux. Son mérite, en critique proprement littéraire et générale, est d'avoir engagé, plus profondément qu'on ne l'avait fait avant lui, un dialogue anglo-français, face aux vaticinations germaniques de Carlyle, et d'avoir servi de catalyseur d'idées chez un peuple et en un temps où les doctrines d'action et la prospérité n'en démontraient certes pas la nécessité. Sa double notion d'une « poésie religion de l'avenir » et d'une culture faite de « douceur et de lumière », imprégnée d'hellénisme, confère à toute sa critique une force interne qui s'est révélée féconde en Amérique comme en Angleterre, par exemple auprès de T. S. Eliot, et qui est loin d'avoir épuisé son efficacité.

La valeur intrinsèque de sa prose tient à sa flexibilité et à son ironie : ses formules répétitives et ses maniérismes impatientent, mais les analyses retiennent par leur atticisme. C'est au temps et à la mode littéraire de décider si la prose l'emportera sur la poésie. Actuellement, la propre prophétie d'Arnold semble réalisée : « J'ai moins de sensibilité poétique que Tennyson et moins de vigueur intellectuelle et d'abondance que Browning ; cependant, parce que je réalise davantage en moi-même la fusion de leurs qualités et que je les ai plus régulièrement appliquées à la ligne maîtresse de l'évolution moderne, j'ai quelque chance d'avoir, moi aussi, mon heure. »

— Louis BONNEROT

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Écrit par

  • : professeur honoraire à la Faculté des lettres et sciences humaines de Paris

Classification

Autres références

  • VICTORIENNE ÉPOQUE

    • Écrit par et
    • 10 883 mots
    • 11 médias
    La poésie, dans la littérature victorienne, a autant de densité et de variété que la prose. Matthew Arnold reprend à son compte la formule de Carlyle : « Ferme ton Byron et ouvre ton Goethe », mais il oublie ses attaques contre l'ignorance des romantiques et, comme tous ses contemporains, puise chez...