Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LEWIS MATTHEW GREGORY (1775-1818)

Au risque de décevoir, on ne peut pas maintenir la légende qui, par une étrange assimilation du personnage central d'une œuvre à son créateur, abolissant ainsi l'écart entre le réel et l'imaginaire, fait de M. G. Lewis, auteur du Moine (The Monk, 1796), Monk Lewis, un homme monstrueux, une figure satanique. Il faut plutôt voir en lui un homme cultivé, qui joue un rôle important dans le monde des lettres. Son amitié avec Byron et Shelley, mais surtout son influence déterminante sur Walter Scott — avec lequel il projette la publication commune de ballades, Tales of Wonder, réalisée après maintes difficultés en 1801 —, son attrait pour le théâtre, Drury Lane et Covent Garden, ont été estompés par les critiques au profit de son goût pour la littérature allemande. On a même voulu voir dans cette attirance l'explication de la création du Moine. Dès sa parution, l'œuvre fait scandale et la censure sévit particulièrement sur ce qui pourrait constituer les deux lignes de force du roman : l'antireligiosité et la sexualité. Soumis à des pressions, Lewis expurge son œuvre et une version édulcorée paraît en 1798. Mais, si ce livre, parcouru par les mythes romantiques du Juif errant, de Satan, présente, dans sa version intégrale, de façon directe et crue des scènes de viols, de meurtres et d'inceste, sa facture même, par la juxtaposition d'intrigues, de récits, de thèmes qui ne sont pas fondus dans une vision univoque et sécurisante, contribue à en faire une œuvre provocante. C'est à la qualité de ses images, à la qualité de sa magie, qu'Antonin Artaud est particulièrement sensible lorsqu'il écrit : « Je ne me souviens dans aucune lecture avoir vu arriver sur moi des images, s'ouvrir en moi des images avec ces sortes de plongées dans tous les dessous intellectuels de l'être, des images qui, dans leur aspect d'images, traînent après elles un véritable courant de vie prometteur, comme dans les rêves, de nouvelles existences et d'actions à l'infini. » On peut donc, comme le fait Artaud dans sa « ré-écriture » du Moine, lire ce roman « hors de son romantisme qui fait date ».

Après Le Moine, le silence de Lewis n'est pas sans surprendre. Pourtant, il continue à écrire poèmes et pièces de théâtre, au nombre desquelles on peut citer Le Spectre du château (The Castle Spectre, 1798) et Alfonse, roi de Castille (Alfonso, King of Castille, 1801), et entreprend de nombreuses adaptations de l'allemand. Mais Lewis, homme de lettres, s'inscrit dans une mode littéraire ; de la même manière, il s'intègre progressivement dans la réalité de sa classe sociale de riche propriétaire de la Jamaïque, comme en témoigne son Journal (Journal of a West India Proprietor, 1815-1817, 1834). Cette insertion dans le réel est peut-être pour Lewis la tentative de rompre avec une légende trop lourde à assumer.

— Ann Daphné GRIEVE

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : agrégée de l'Université, maître assistant à l'université de Paris-VII

Classification

Autres références

  • GOTHIQUE LITTÉRATURE & CINÉMA

    • Écrit par
    • 6 313 mots
    • 5 médias
    Après la terreur policée et le discours conservateur de Radcliffe viennent la subversion, l’exacerbation des passions transgressives et l’outrance descriptive de M. G. Lewis dans The Monk (1796). Le héros, Ambrosio, moine rigoriste et orateur brillant mais orgueilleux, se laisse séduire par Antonia,...