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MATTHIAS GRÜNEWALD (expositions)

Dans la floraison de génies qui marque, en ce premier tiers du xvie siècle, la peinture de la Renaissance dans le monde germanique, Matthias Grünewald (1475 env.-1528) occupe une place à part. Bien que faisant partie des tout grands, aux côtés de Dürer, Baldung Grien, Holbein, Cranach, Altdorfer, il est souvent considéré un peu à part. Alors que la spécificité de son art n'a été à nouveau établie qu'après le milieu du xixe siècle, lors d'une redécouverte qui tire alors son œuvre d'un long oubli, le caractère expressionniste de sa peinture est rapidement reconnu par la critique moderne. Dans une époque marquée par la diffusion au nord des Alpes des conceptions de la Renaissance italienne, fondées sur une nouvelle observation de l'Antiquité, un respect des proportions, du canon du corps humain, de la lumière, de la profondeur spatiale tant par les valeurs atmosphériques que par la perspective mathématique, Grünewald, s'il sait maîtriser ces procédés, choisit pourtant de privilégier la déformation des corps et des expressions pour les soumettre à l'expression des émotions. Il privilégie les contrastes, exaltant la joie jusqu'au ravissement extrême, portant la souffrance jusqu'au pathos le plus sombre. À l'équilibre et au classicisme de Dürer, qui a tiré la leçon de ses voyages italiens, s'oppose l'art anti-classique de Grünewald, composé de formes d'une grande puissance et pourtant jamais déséquilibrées.

Deux expositions présentées en parallèle, du 8 décembre 2007 au 2 mars 2008 à la Staatliche Kunsthalle de Karlsruhe et au musée d'Unterlinden de Colmar, ont admirablement mis en valeur à la fois l'aspect unique qui caractérise l'art de Grünewald, et tout ce qu'il doit, malgré et à travers ce qui lui est propre, à ses prédécesseurs et ses contemporains. Colmar conserve le Retable d'Issenheim, peint vers 1512-1516, et la chapelle du musée d'Unterlinden restait le cadre parfait pour le triple développement de l'œuvre, des volets consacrés à saint Antoine, autour de la partie sculptée par Nicolas de Haguenau, dans la deuxième ouverture, à l'explosion colorée, de l'Annonciation à la Résurrection, dans la première ouverture, et à l'effet tragique du Christ en croix, montré avec gravité par Jean-Baptiste, entouré par les saints Sébastien et Antoine, et dominant la Mise au tombeau, du retable fermé. Ces panneaux peints, spectaculaires, immenses et impossibles à déplacer, ont été judicieusement entourés d'un choix restreint d'œuvres majeures montrant en particulier les dessins de l'artiste. Il s'agit bien de créations à part entière, d'œuvres autonomes même lorsqu'on est en présence de travaux préparatoires aux grandes peintures. L'exposition montrait aussi les dessins de ses contemporains au nord comme au sud des Alpes, mettant en évidence la proximité des recherches de drapés entreprises par Grünewald avec les dessins de Léonard de Vinci – ce qui repose la question de la nature de ses contacts avec l'Italie ; enfin, des sculptures aidaient à mieux situer l'apport de Nicolas de Haguenau. Dans les deux expositions, les analyses de laboratoire, ainsi que les observations des restaurateurs font mieux connaître la genèse et la constitution de l'œuvre de Grünewald, en particulier pour ce qui concerne son art accompli de la couleur.

Le Staatliche Kunsthalle de Karlsruhe possède, du Retable de Tauberbischofsheim, le Portement de Croix et la Crucifixion. On y voit Grünewald, alors que sa carrière approche de son terme, renouveler et intensifier le thème qu'il a tant privilégié du Christ souffrant dans sa chair. Mais Karlsruhe détient aussi les deux extraordinaires figures féminines en grisaille du Retable Heller, où le plissé menu tout en plénitude de sainte Élisabeth[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite d’histoire de l’art à l’université de Lille

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