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KNUTZEN MATTHIAS (1646-1674?)

Bachelier errant, esprit libre et personnage énigmatique qui eût séduit l'imagination romantique, Matthias Knutzen proclame, dans des pamphlets manuscrits qu'il diffuse lui-même, son athéisme et son hostilité au pouvoir aristocratique, soutenu par le protestantisme orthodoxe. Il passe pour avoir fondé le groupe des conscientaires. Ses idées, diffusées en France, furent connues de Naigeon et de Diderot et ne semblent pas étrangères au courant révolutionnaire qui se développera au xviiie siècle. Né à Oldenworth (Holstein) d'un père organiste, Knutzen est, à la mort de ses parents, recueilli par le pasteur Fabricius, qui s'occupe de son éducation et l'envoie, à quinze ans, suivre les cours de théologie à Königsberg. L'absurdité des querelles entre théologiens a tôt fait de le gagner à l'athéisme. Il s'échappe de l'école, parcourt la Prusse orientale en mendiant et, en 1667, revient dans son village natal. En 1668, il est étudiant à l'université de Copenhague, où il écrit un texte aujourd'hui perdu, De lacrimis Christis. Après un bref séjour à Oldenworth, il part pour Tönningen, où son frère, organiste, lui offre l'hospitalité. Ayant prêché devant une assemblée de paysans contre l'absolutisme et le protestantisme orthodoxe, il est banni par le conseil de la cité, se réfugie en 1673 à Krempen (Danemark) et en est chassé pour avoir vitupéré la richesse des consistoires et incité à l'indiscipline. Il parcourt l'Allemagne, la France, la Hollande, l'Italie. En 1674, il est à Iéna, où il fait circuler son pamphlet, Ein Gespräch zwischen einem Gastwirt und drei ungleichen Religionsgästen. Le 5 septembre, il dépose deux manuscrits dans l'église principale et envoie aux membres du consistoire le texte latin Amicus amicis amica (Freundliche Wünsche eines Freundes). Le scandale éclate, provoquant la colère des autorités et suscitant l'intérêt d'un grand nombre d'étudiants et de citoyens, intrigués par la mystérieuse secte des conscientaires, à laquelle l'auteur fait allusion. Knutzen prend la fuite pour se soustraire à des poursuites judiciaires ordonnées par le prince électeur. Tandis que le professeur Musäus rédige à la hâte une réfutation des théories de Knutzen, celui-ci répand ses tracts à Cobourg et à Nuremberg. On perd ensuite sa trace. Il serait mort en Italie, cette même année 1674. Ses libelles, imprimés peu après, circulaient en Allemagne et en France dès le début du xviiie siècle.

Par bien des aspects, Matthias Knutzen appartient à la ligne du Libre-Esprit, dont les partisans tiraient de la présence en eux de l'Esprit saint la liberté de suivre les désirs de nature. Le Saint-Esprit, désacralisé, devient chez Knutzen la conscience. Il écrit dans Amicus amicis amica : « Par-dessus tout, nous nions Dieu, nous méprisons l'autorité, nous rejetons le temple avec tous ses prêtres. Ce qui nous suffit à nous, conscientaires, c'est la science non d'un seul, mais du plus grand nombre [...], cette conscience que la nature, mère bienveillante des humbles, a accordé à nous et à tous les hommes, en lieu et place des Bibles. »

Le pamphlet intitulé Ein Gespräch zwischen einem Feldprediger und einem lateinischen Münsterschreiber appelle le christianisme une fable du Christ et la Bible le Coran des chrétiens. Il estime que les autorités profane et spirituelle sont inutiles et nuisibles, que mariage et prostitution ne diffèrent guère et qu'il appartient à chacun de s'en remettre à son sentiment et à sa lucidité pour mener à bien son existence. Il y a tout lieu de croire que la secte des conscientaires est née des inquiétudes nourries par les détracteurs de Knutzen, car lui-même n'a jamais prétendu régenter une liberté dont il fait de chaque individu l'unique responsable.

— Raoul VANEIGEM[...]

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