ZSCHOKKE MATTHIAS (1954- )
Installé à Berlin depuis 1980, Matthias Zschokke est le plus berlinois des écrivains suisses. Né en 1954 à Berne, il a fréquenté l'école d'Art dramatique de Zurich, avant de jouer pendant quelques années au Stadttheater de Bochum sous la direction de Peter Zadek. Ses débuts littéraires coïncident avec son installation dans la capitale allemande. Ce n'est qu'avec la publication de Maurice mit Huhn (2006, Maurice à la Poule, prix Femina étranger 2009) qu'il acquiert la reconnaissance du public de langue allemande (et française). Le protagoniste, une sorte d'« homme sans qualités », est un personnage fade et gris résidant dans les quartiers nord de Berlin dont l'auteur, tel un entomologiste, scrute les sentiments les plus secrets, les émotions les plus cachées, les comportements les plus intimes. Ce roman contient toute la poétique de l'auteur, fondée sur une observation pénétrante de ses contemporains dont il dissèque, non sans humour, les illusions et les désillusions, une écriture minutieuse qui oscille entre l'empathie pour le sujet observé et le cynisme distancié et parfois féroce. Moraliste solitaire, Zschokke déteste la mode, le factice, le jeu social et surtout le microcosme littéraire berlinois, qui impose des codes et interdit toute sincérité. Son roman paru en 2012, et pour lequel le prix fédéral de littérature lui a été attribué en Suisse, Der Mann mit den zwei Augen (L'Homme aux deux yeux) reprend et élargit la démarche de l'écrivain. Ici aussi le protagoniste du roman est un homme ordinaire qu'étonne cependant la normalité des autres alors que l'insolite ne le surprend pas. Après le suicide de sa compagne, « l'homme aux deux yeux » a besoin de repos. Le lieu idyllique où il espère le trouver s'avère être une banlieue inhospitalière. Le roman décrit les errances et les retours vers le passé d'un homme désemparé qui traverse la vie en chancelant, sans que le lecteur sache s'il est une victime pitoyable ou seulement un être grotesque. Zschokke pour qui « la plus belle chose qu'un livre puisse déclencher, c'est de déstabiliser le lecteur, de le pousser à s'interroger » incite son lecteur à mettre en question la norme, toutes les normes et à découvrir l'étrangeté du monde.
C'est encore le conformisme de la société que dénonce l'auteur des messages électroniques – Zschokke lui-même – adressés à Niels (Lieber Niels, 2011 [Cher Niels]). Cet étonnant roman épistolaire réunit des milliers de courriers électroniques envoyés par l'auteur à son seul véritable ami de 1982 à 2010. Il en résulte un livre épais, une sorte de journal intime où s'entremêlent recommandations de lectures, jugements sur des livres, des films, des collègues, critique du monde éditorial dont il refuse les exigences car il ne lui témoigne pas de la reconnaissance qu'il souhaiterait. La lucidité pleine d'humour le dispute à l'agressivité féroce de certaines pages.
Dans ses premiers textes (Max, 1982, prix Robert Walser ; Prinz Hans, 1984 ; ErSieEs, 1986 ; Das lose Glück, 1999) la ville – Berlin – occupe une place centrale. Ce qui passionne l'auteur, ce n'est pas le côté « branché » de la ville, mais celui qui reste caché, enfoui, invisible. Zschokke refuse la forme traditionnelle du roman qui fige la construction narrative. « L'histoire ne m'importe pas, dit-il, car il n'en existe qu'un nombre limité en ce bas monde et nous les connaissons à peu près toutes ; leur structure, leur déroulement ne peuvent pas nous réserver de grandes surprises. Les ruptures peuvent se produire seulement dans les détails et irriter le lecteur ; c'est cela que j'essaie de faire. Je ne veux pas démolir le roman, ni formuler une contre-proposition, ce qui m'intéresse vraiment, c'est le fait de raconter en soi. » Raconter la vie, le mouvement[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Nicole BARY
: directrice de l'association
Les Amis du roi des Aulnes , traductrice
Classification