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ALLAIS MAURICE (1911-2010)

Article modifié le

C'est un économiste français aussi brillant que peu consensuel qui s'est éteint le 9 octobre 2010 à Paris. Participant en 1947 à la première réunion de la très libérale Société du Mont-Pèlerin, partisan de l'Algérie française qui dénonçait le « génocide » commis à l'encontre des Français d'Algérie et des musulmans pro-français, critique acerbe du « libre-échangisme aveugle » défendu à l'O.M.C. comme à Bruxelles, auteur d'un calcul très contesté du « coût exorbitant de l'immigration » pour l'économie française, référence appuyée des programmes économiques du Front national, Maurice Allais s'est vu exclu du débat et largement ignoré des médias, et réduit, selon ses propres mots, à la condition de simple « téléspectateur » (entretien accordé au journal Marianne le 5 décembre 2009).

Major de sa promotion à l'École polytechnique (1931-1933), ingénieur de l'École des mines de Paris (1933-1936), brillant théoricien, l'économiste Maurice Allais est, dans sa discipline, le premier à se voir décerner la médaille d'or du C.N.R.S. en 1978, dix ans avant de recevoir le prix Nobel d'économie pour « ses travaux de pionnier sur la théorie des marchés et l'utilisation efficace des ressources ».

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Dès 1943, Maurice Allais publie À la recherche d'une discipline économique (devenu Traité d'économie pure en 1952), un ouvrage de synthèse de la théorie microéconomique, dans une perspective néo-classique de plus ou moins stricte observance. Disciple de Léon Walras et de Vilfredo Pareto, il donne une place nouvelle à l'analyse mathématique dans l'étude de l'équilibre de l'économie et l'applique à tous les problèmes de choix individuels, de décision de l'entreprise, de formation des prix et d'optimum. C'est aussi la défense du capitalisme libéral traduite par la démonstration du théorème du rendement social : « Toute économie quelle qu'elle soit, collectiviste ou de propriété privée, doit s'organiser sur une base décentralisée et concurrentielle. »

Très vite, Maurice Allais fait école. À la fin des années 1940, il réunit dans un séminaire informel des étudiants de milieux divers, mais tous intéressés par les mathématiques appliquées à l'économie. Ces réunions attireront de plus en plus d'élèves et susciteront des vocations reconnues par la suite : Gérard Debreu (prix Nobel d'économie en 1983), Marcel Boiteux (président d'E.D.F. de 1979 à 1987), Edmond Malinvaud (professeur au Collège de France et directeur de l'I.N.S.E.E.), Thierry de Montbrial (directeur de l'Institut français des relations internationales).

Dans la tradition des « ingénieurs-économistes » français (Jules Dupuit, Jacques Lesourne, Lionel Stoléru, Jacques Attali...), Maurice Allais joint à une élaboration théorique de haut niveau des responsabilités administratives de premier plan. Il travaillera pour le Bureau de documentation minière (1943-1948), dirigera l'Institut de recherche économique et sociale des mines (1953), puis, à partir de 1970, le centre Clément-Juglar d'analyse monétaire à l'université de Paris-X. Ces responsabilités successives expliquent qu'il ait combiné, plus que d'autres, l'analyse microéconomique des choix et l'analyse macroéconomique des équilibres globaux.

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Maurice Allais s'intéressait également à la théorie du capital et tentait de réconcilier deux explications antinomiques du taux d'intérêt.

– La première, d'inspiration classique, considérait que le taux d'intérêt était un prix d'équilibre automatique entre l'offre de fonds prêtables (l'épargne) et la demande de fonds à emprunter (l'investissement). L'épargne et l'investissement devaient s'équilibrer par l'effet des modifications du taux d'intérêt, comme cela se passe pour n'importe quelle autre marchandise.

– La seconde, d'inspiration keynésienne, considérait que le taux d'intérêt était déterminé, comme tout autre prix, par l'offre de monnaie en circulation (décidée par les autorités monétaires) et la demande de monnaie désirée par les agents économiques (la préférence pour la liquidité).

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Allais fera la synthèse de ces deux approches dans Économie et intérêt (1977) et devancera Solow et Samuelson dans le cadre de leurs recherches sur les fluctuations économiques et la dynamique macroéconomique. L'affirmation d'Allais selon laquelle le taux d'intérêt le plus favorable à l'investissement est celui qui se rapproche le plus du taux de croissance de l'économie a retrouvé toute son actualité en période de croissance ralentie. En revanche, sa théorie de la création monétaire bancaire, prolongement de la « théorie quantitative » et d'inspiration assez proche de l'école de Chicago et de Milton Friedman, n'a pas vraiment convaincu. L'ouvrage publié en 1977, L'Impôt sur le capital et la réforme monétaire, parut pousser la démarche à l'extrême et fit dire à certains que l'exactitude des équations ne pouvait pas toujours avoir raison contre les faits.

En 1952, Maurice Allais organise à Paris un colloque du C.N.R.S. qui ouvrira un champ de la recherche jusque-là inexploré : le choix des individus face aux risques. Maurice Allais montre que le choix rationnel n'est pas forcément celui qui offre la plus forte probabilité de gain, mais que ce choix doit aussi tenir compte des réactions des autres agents économiques. Ce sera le point de départ d'une polémique durable avec l'économiste américain Kenneth Arrow, qui modélisait l'incertitude selon le principe de l'« utilité espérée ». Ce qu'on appellera le « paradoxe d'Allais » n'est en fait que la démonstration de la fragilité des hypothèses qui sous-tendent cette approche et peut se résumer par cette formule : « Moins le risque est grand et plus on le fuit. » Au-delà de la polémique, beaucoup pensent que Maurice Allais a proposé une construction qui pourrait remplacer la « théorie des choix risqués », d'autant que, depuis les années 1960, la science économique cherche à introduire les risques et les aléas à tous les niveaux de décisions concrètes (choix financiers, assurances, investissements, fluctuations conjoncturelles, etc.).

Maître théoricien libéral, personnalité indépendante passionnée de recherche, Maurice Allais eut aussi des qualités de visionnaire. Dans une brochure intitulée Les Conditions monétaires d'une économie de marché, il comparait, six mois avant le krach boursier d'octobre1987, la situation de la Grande Dépression à celle du moment. Les années qui suivent voient Allais multiplier les publications, alternant ouvrages théoriques et prises de position non conformistes à l'occasion de débats qui engagent l'avenir de ses concitoyens. Avec une vigueur remarquée, il met sa notoriété de premier prix Nobel français d'économie (Debreu avait pris la nationalité américaine) au service de véritables croisades : contre l'idéologie libre-échangiste qui, selon lui, conditionne l'approche des questions commerciales internationales ; contre les « erreurs et impasses » de la construction européenne, selon le titre d'un essai iconoclaste qu'il publie en 1992. La même année, à l'occasion de la ratification du traité de Maastricht, puis en 2005, du traité constitutionnel pour l'Europe, il n'a de cesse de dénoncer le déficit démocratique, l'irréalisme ou la précipitation des choix (monnaie unique) et l'absence de considération des véritables intérêts communautaires.

— Françoise PICHON-MAMÈRE

—  ENCYCLOPÆDIA UNIVERSALIS

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Écrit par

  • : maître de conférences, université Paris-Sorbonne
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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Autres références

  • DEBREU GÉRARD (1921-2004)

    • Écrit par
    • 840 mots

    Disparu le 31 décembre 2004, Gérard Debreu fut le premier économiste français à recevoir le prix Nobel, en 1983, pour ses travaux sur la théorie de l'équilibre général, cinq ans avant celui qui fut son maître dans la discipline, Maurice Allais.

    Issu d'une famille d'industriels fabriquant...

  • ÉCONOMIE (Définition et nature) - Enseignement de l'économie

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    ...administrateurs, a créé un groupe d'économistes mathématiciens se rapprochant des économistes formés dans les universités américaines ou britanniques. La figure de proue de cette filière est Maurice Allais. Polytechnicien-ingénieur des mines, il enseigne à l'École des mines. Sa démarche est consolidée...

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