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BARRÈS MAURICE (1862-1923)

Les étapes du nationalisme barrésien

L'année même où paraît Un homme libre, Barrès est élu député boulangiste de Nancy ; il a vingt-sept ans. À ce moment le boulangisme est déjà vaincu, mais Barrès voit avant tout dans le général Boulanger l'homme qui peut rendre à la France sa fierté et l'intégrité de son territoire : « En politique, écrira-t-il dans ses Cahiers en 1908, je n'ai jamais tenu profondément qu'à une chose : la reprise de Metz et de Strasbourg. »

Barrès a décrit l'épisode boulangiste en 1900 dans L'Appel au soldat, mais on peut se demander si le boulangisme de L'Appel au soldat n'est pas quelque peu reconstruit et dramatisé à la lumière de l' affaire Dreyfus. Le boulangisme de Barrès en 1889 est plus juvénile et plus impulsif que le boulangisme décrit dans L'Appel au soldat. « Je ne vais pas raconter le boulangisme, écrira-t-il vers la fin de sa vie. Comme je me suis amusé ! Il y avait bien de la fantaisie, de l'allégresse, de la jeunesse, l'idée d'embêter le pion, le philistin, les grandes personnes. »

Entre septembre 1894 et mars 1895, Barrès dirige un petit journal nationaliste, La Cocarde, auquel collaborent des monarchistes, des socialistes, des anarchistes, des juifs, des protestants. La Cocarde est antiparlementaire et xénophobe, mais elle parle avec estime de Jaurès et avec émotion de la Révolution française. Barrès à cette époque veut concilier individualisme et solidarité, nationalisme et socialisme, patriotisme et cosmopolitisme. Il veut organiser le travail, supprimer le prolétariat, réduire par la décentralisation l'omnipotence de l'État.

Avec l'affaire Dreyfus, le nationalisme de Barrès se durcit. L'auteur d'Un homme libre devient l'homme d'un camp, sans hésitations, sans nuances. Antisémite et xénophobe, il est un des fondateurs de la Ligue de la patrie française en 1898 ; il se déchaîne contre les dreyfusards et publie dans Scènes et doctrines du nationalisme (1902) de nombreux textes animés par l'antisémitisme le plus élémentaire ; il fait paraître entre 1897 et 1902 la trilogie du Roman de l'énergie nationale (Les Déracinés, L'Appel au soldat et Leurs figures), entre 1905 et 1909 Les Bastions de l'Est (Au service de l'Allemagne et Colette Baudoche). En 1906, après plusieurs tentatives malheureuses, il est élu député de Paris, dans le quartier des Halles ; il déclare dans sa profession de foi qu'il luttera « contre les politiciens, les francs-maçons, le risque d'anarchie ». Tout en étant un député très consciencieux, Barrès ne cessera de dénoncer « la pourriture parlementaire » et de plaider pour « la restauration de l'ordre et de l'autorité dans la République ».

Pendant la guerre de 1914-1918, Barrès s'impose la tâche de publier dans L'Écho de Paris des articles quasi quotidiens (ultérieurement recueillis dans les quatorze volumes des Chroniques de la Grande Guerre) afin de soutenir le moral du pays, de lutter contre les défaitistes, d'exalter le sacrifice des « poilus », de dénoncer la barbarie des « Boches ». À ceux qu'irrite ce lyrisme patriotique, Barrès apparaît comme « un pape du bourrage de crâne ».

La victoire, la revanche, la reconquête des provinces perdues, c'est vraiment la victoire de Barrès. Mais, au moment même où son vieux rêve de revanche se trouve réalisé, Barrès s'interroge sur le sens de sa vie et sur la signification de son nationalisme. Avant la guerre de 1914, il écrivait déjà dans ses Cahiers : « Je sens depuis des mois que je glisse du nationalisme au catholicisme. C'est que le nationalisme manque d'infini. » Et il ajoutait : « Je voudrais me donner à quelque chose de plus large et de plus prolongé, d'universel. »

Il fait partie de la[...]

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Écrit par

  • : secrétaire général de la Fondation nationale des sciences politiques, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris

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<em>Barrès devant Tolède</em>, I. Zuloaga - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Barrès devant Tolède, I. Zuloaga

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