MAURICE BLANCHOT, PARTENAIRE INVISIBLE (C. Bident)
Dans un court texte intitulé « Pour remercier Maurice Blanchot » et prononcé le 22 septembre 1997, à l'occasion des quatre-vingt-dix ans de l'auteur, Jean Starobinski écrit : « Il m'a fait comprendre, inoubliablement, qu'on n'a pas vraiment accompli la tâche critique tant que l'on n'en a pas fait un travail d'écriture aventurée, sans autre guide que le désir de parler au plus juste. » Ces paroles conviennent assez bien à Maurice Blanchot, partenaire invisible, l'« essai biographique » de Christophe Bident (éditions Champ Vallon, 1998). Faire une biographie de Blanchot est, en effet, une entreprise qui relève du défi et exige subtilité dans l'approche, pertinence du questionnement et finesse de l'écriture. À cela il est nécessaire d'ajouter le sérieux d'une érudition qui fait de ce livre un instrument nécessaire à tous ceux qui, à l'avenir, voudront travailler sur Blanchot. Plus encore, alors que le genre biographique semble aujourd'hui vouloir se substituer à la critique, ce livre a l'intérêt de poser aussi la question de ses limites. Que signifie faire la biographie d'un écrivain ?
Contre Sainte-Beuve, déjà, Proust a montré toute la vanité qu'il y a à vouloir inférer de la vie d'un auteur à son œuvre. Loin de tomber dans un formalisme excessif qui s'ingénierait à soustraire les écrits à tout contexte historique, Christophe Bident analyse dans le détail la totalité des textes publiés sous le nom de Blanchot, y compris ceux, très nombreux, circonstanciels, qui ont paru dans des revues, des hebdomadaires ou des quotidiens sans être repris en volume. À partir de là, une des difficultés consistait à ne pas séparer arbitrairement, à partir d'un point de vue idéologique ou esthétique, ce que Blanchot lui-même dans une lettre du 24 janvier 1962, adressée à Georges Bataille, appelait « un double mouvement », « un double langage » : « L'un nomme le possible et veut le possible. L'autre répond à l'impossible. » Autrement dit, comment lier, sans les réduire l'une à l'autre, exigence politique et exigence poétique ? Quels liens, entre l'espace public que Blanchot occupa longtemps par de très nombreuses prises de position – en tant que telles offertes aux discussions, voire aux violentes polémiques – et « l'espace littéraire », espace du retrait où se disent la solitude, la maladie, la mort, l'amitié ? Un des grands intérêts de cet essai biographique est de montrer que, chez Blanchot, contrairement à une idée reçue, l'écriture proprement littéraire (les récits, les romans ou la critique) ne succède pas aux écrits purement politiques. Ses premiers récits (Le Dernier Mot, L'Idylle, 1935-1936) sont contemporains de son activité journalistique la plus militante dans la presse de droite, voire d'extrême droite, des années 1930 (plus de deux cents articles entre 1931 et 1944, parus notamment dans le Journal des débats, Le Rempart, Combat, L'Insurgé), l'écriture de la première version de son premier roman, Thomas l'obscur, s'étend de 1932 à 1940 (elle paraîtra en 1941) et la dernière période de sa création n'est pas exempte, loin de là, d'une certaine activité sur la scène publique. Ainsi de ses prises de position dans la revue Le 14 juillet, en 1958, contre le retour au pouvoir du général de Gaulle, puis en 1960 pour le « Droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie », en mai 1968 lors de sa participation à la rédaction de tracts. Quoique contemporaines, les deux écritures diffèrent : tout semble se passer comme si la littéraire venait doubler secrètement la politique, lui rappeler contre l'ordre du jour les exigences de la nuit, de « l'autre nuit ». Contre « la certitude des convictions », les récits auraient une fonction quasi[...]
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Écrit par
- Francis WYBRANDS : professeur de philosophie
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