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BLANCHOT MAURICE (1907-2003)

La rupture par la littérature

Dès 1931, Blanchot avait commencé à écrire un roman, Thomas l'obscur, qu'après plusieurs tentatives infructueuses (il aurait détruit plusieurs manuscrits), il achève en 1940. Le livre paraît en 1941, rapidement suivi d'un second, Aminadab(1942). Bien qu'elle épingle quelques défauts de jeunesse, comme l'influence trop marquée de Giraudoux ou de Kafka, la critique installe immédiatement Blanchot au premier plan de la nouvelle littérature française. On le dira ensuite proche du « nouveau roman » ; jamais cependant Blanchot ne se reconnaîtra membre d'une école. Dans le roman, puis le récit (lui-même tient à la distinction des deux genres), il suit son propre cheminement, souterrain et souverain, peu lu mais électivement reconnu. De la veine des premières fictions, à laquelle appartient encore Le Très-Haut (1948), il passe à celle des récits, plus brefs, moins référentialisés, de plus en plus centrés sur la forme dense et anonyme de l'entretien. De L'Arrêt de mort (1948) à L'Attente l'oubli (1962) et à « L'entretien infini » (1965), repris en tête du recueil homonyme, c'est à l'affrontement tour à tour passionnel, érotique, amical, onirique, fantastique de deux ou trois personnes que nous assistons. Hommes et femmes au seuil de la passion ou de la disparition : Blanchot traque ce qui peut encore se maintenir entre eux, à partir de ce moment insidieux où chacun trouve en l'autre une ressource ultime, une joie divine, un secret irréductible.

D'une théâtralité extrême, sans l'apparat de la théâtralisation, l'écriture de Blanchot se concentre sur quelques événements, infimes et détonants, sur la manière dont ils retentissent dans les corps et les consciences, sur le défi qu'ils lancent à la narration d'encore pouvoir, savoir et vouloir les raconter. Avec La Folie du jour, courte fiction publiée en 1949 dans la revue Empédocle, Blanchot avait posé la question de la possibilité du récit après Auschwitz. « Un récit ? Non, pas de récit, plus jamais », concluait-il. S'inscrire n'est désormais possible qu'en s'effaçant : dans le respect du point le moins honteux où puisse conduire l'exposition de l'intime. C'est aussi ce que dans son œuvre critique, il appellera le « neutre ». Cette neutralité indestructible de la littérature interroge tout lecteur sur son attente forcenée de l'épisode et de l'aveu – sur son attente de la littérature.

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Écrit par

  • : maître de conférences à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot

Classification

Pour citer cet article

Christophe BIDENT. BLANCHOT MAURICE (1907-2003) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • L'ESPACE LITTÉRAIRE, Maurice Blanchot - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 261 mots

    Publié en 1955, L'Espace littéraire est un des livres fondateurs de notre modernité. Son style, ses concepts, la hauteur de son exigence ont imprégné par la suite les œuvres de Barthes, Foucault, Lacan et Derrida.

    La publication du livre ponctue une période d'intense activité critique et...

  • MAURICE BLANCHOT, PARTENAIRE INVISIBLE (C. Bident)

    • Écrit par
    • 1 017 mots

    Dans un court texte intitulé « Pour remercier Maurice Blanchot » et prononcé le 22 septembre 1997, à l'occasion des quatre-vingt-dix ans de l'auteur, Jean Starobinski écrit : « Il m'a fait comprendre, inoubliablement, qu'on n'a pas vraiment accompli la tâche critique tant que l'on n'en a pas fait un...

  • ARTAUD ANTONIN (1896-1948)

    • Écrit par
    • 3 392 mots
    • 1 média
    ...son œuvre avec sa vie, qu'il suffit de lire ses écrits pour connaître l'essentiel de sa vie, non qu'il s'agisse d'une anecdotique autobiographie, car, Maurice Blanchot l'a souligné : « Ce qu'il dit, il le dit non par sa vie même (ce serait trop simple), mais par l'ébranlement de ce qui l'appelle hors...
  • CRITIQUE LITTÉRAIRE

    • Écrit par et
    • 12 918 mots
    • 4 médias
    Cette réflexion avait été annoncée par la métaphysique littéraire de Blanchot, l'un des premiers promoteurs de Heidegger en France. En s'appuyant sur Mallarmé en particulier, Blanchot critiquait l'idée du livre comme totalité présupposant un créateur garant de l'unité du sens, c'est-à-dire l'axiome...
  • FRAGMENT, littérature et musique

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    • 9 372 mots
    • 2 médias
    Maurice Blanchot lit chez René Char le désir de « répondre à « la nature tragique, intervallaire, saccageuse, comme en suspens, des humains » par une parole de fragment » (L'Entretien infini). Éclatement, dislocation, ces mots ne sont pas à prendre comme purement négatifs : « le poème...
  • LITTÉRATURE - Du texte à l'œuvre

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    • 6 945 mots
    ...bien le rêve d'un art pur que les conservatismes de tout poil, les tenants d'un universel anhistorique cher à certains classiques. Face à cet engagement Maurice Blanchot, dans L'Espace littéraire (1954), rejette la masse des ouvrages qu'il considère comme futiles ou utilitaires et réserve la littérature...
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