BLANCHOT MAURICE (1907-2003)
L'espace littéraire
Le premier recueil critique paraît en 1943 : Faux Pas élève aussitôt son auteur au rang du plus prometteur des jeunes critiques. À la Libération, Blanchot écrit dans les revues majeures : L'Arche, Critique, Les Temps moderneset, dès sa reparution en 1953, La Nouvelle Nouvelle Revue française. Ce sont ces articles qu'il remanie pour les grands livres qui l'assurent, davantage que romans et récits, d'un renom international : La Part du feu (1949), L'Espace littéraire(1955), Le Livre à venir (1959), L'Entretien infini (1969), L'Amitié (1971). Jamais pourtant Blanchot n'a dissocié écriture narrative et écriture critique. Des phrases circulent, les mêmes, d'un récit à un essai (d'un article sur Artaud, par exemple, à certaines pages du Dernier Homme). Les préoccupations qui retentissent dans les essais critiques sont d'abord celles de l'écrivain qui cherche infatigablement de nouvelles formes, toujours plus exigeantes, d'écriture.
Cette recherche ouvre un chemin révolutionnaire à la pensée critique (Barthes, Bataille, Deleuze, Derrida, Foucault, Sollers, qui lisent Blanchot tous les mois dans la N.N.R.F., le savent et le diront). C'est la méditation très personnelle de certaines expériences d'auteurs qui lui donne son mouvement. Blanchot s'intéresse aux expériences qui neutralisent la personnalité dans l'autre temps, « interminable et incessant », du mourir et de l'écrire. Il nous invite à lire le parcours de l'écrivain en Orphée. Il imagine la quête épuisante et cependant inépuisable de l'Œuvre, jamais atteinte, toujours dérobée au cœur de la nuit, « l'autre nuit », celle qui accueille l'insomnie de l'artiste, désormais ouvert à la « dissimulation de l'être », car ce qui lui apparaît alors est l'essence de la disparition, l'absence de l'être au fond de l'être, l'antériorité au commencement du temps, l'origine de la parole qui n'est encore que murmure, prose rapide et incessante dont se rapproche toujours plus l'essence du poème. Artiste à qui rien n'apparaît cependant : ouvert au « ruissellement du dehors éternel », emporté par cette parole neutre qui noue les points obscurs où l'entente commune et anonyme peut jaillir, dédoublé dans l'espace infini d'où les dieux se sont retirés, à l'horizon bouleversant qui extasie le corps et aveugle toute représentation, à commencer par la sienne, dissous, il écrit un poème qui écrit cette rencontre invisible pour aussitôt s'effacer, s'effacer comme poème, l'effacer comme poète, subsister comme rencontre de l'œuvre inatteinte avec un lecteur seul susceptible de l'affirmer à nouveau. Ce que Blanchot nomme « le Oui léger, innocent, de la lecture ».
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Écrit par
- Christophe BIDENT : maître de conférences à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot
Classification
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