DENIS MAURICE (1870-1943)
Situé à la charnière du xixe et du xxe siècle, le peintre Maurice Denis a vu sa place réévaluée dans l'histoire de l'art contemporain depuis les années 1980. Alors qu'on ne connaissait plus de lui que son mot d'ordre dans lequel on lisait à tort une justification précoce de l'art abstrait, « se rappeler qu'un tableau, avant d'être un cheval de bataille, une femme nue, ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblés » (« Définition du néo-traditionnisme », 1890), on a désormais redécouvert les multiples facettes de sa poétique picturale, son ambition décorative et monumentale, son rôle éminent dans la rénovation de l'art religieux après la Première Guerre mondiale. Personnalité complexe qui maniait avec autant de talent la plume que le pinceau, Maurice Denis fut le contemporain de Gauguin, de Matisse, de Kandinsky, et il demeure moins étranger qu'on ne l'a dit aux grands débats suscités par les renouvellements successifs de la création artistique au fil du « premier xxe siècle ».
Le théoricien du groupe des nabis
Le peintre qui expose pour la première fois au Salon des indépendants de 1891 un tableau intitulé Mystère catholique (1890, collection particulière) n'est pas tout à fait un inconnu. Né en 1870 à Granville dans une famille installée à Saint-Germain-en-Laye, où il demeurera toute sa vie, Maurice Denis a fait de sérieuses études classiques et fréquente depuis 1888 l'académie Jullian et l'École des beaux-arts. Il s'est illustré en publiant à vingt ans, en 1890, son premier article, « Définition du néo-traditionnisme », qui passe rapidement pour le manifeste du groupe des nabis (« prophètes » en hébreu) créé en 1888 par le peintre Paul Ranson avec, entre autres, Sérusier, Bonnard, Vuillard et Roussel. Leur but est de rompre avec l'esthétique de l'impressionnisme, de promouvoir une peinture nouvelle fondée sur les grands modèles des primitifs et d'affirmer surtout une véritable ambition spirituelle : « L'art est la sanctification de la nature, de cette nature de tout le monde, qui se contente de vivre ! », écrit Maurice Denis ; et de poursuivre : « les œuvres décidément supérieures de l'art moderne, qu'est-ce ? sinon le travestissement des sensations vulgaires – des objets naturels – en icônes sacrées, hermétiques, imposantes ».
Maurice Denis tire dans ses premières œuvres la leçon de la simplification formelle du Pauvre Pêcheur de Puvis de Chavannes (1881, musée d'Orsay, Paris) qu'il a très tôt apprécié, en y ajoutant la violence colorée du Talisman (1888, musée d'Orsay) de son ami Paul Sérusier, lui-même inspiré par la « leçon » de Gauguin. Ses tableaux (Tache de soleil sur la terrasse, 1890, musée d'Orsay) révèlent son goût pour la déformation du dessin et son sens de la synthèse ; les couleurs stridentes sont posées en aplat au détriment de l'illusionnisme figuratif.
1893 marque une période nouvelle dans l'existence de Maurice Denis, inaugurée par son mariage avec Marthe et la célèbre toile Les Muses(musée d'Orsay) où le visage de l'unique femme aimée se multiplie en neuf, voire dix, muses inspiratrices et protectrices. En 1893 encore, l'illustration du Voyage d'Urien d'André Gide lui fournit l'occasion d'une véritable connivence entre les mots et les images qui assure à l'ouvrage une place exceptionnelle dans l'art « symboliste ». Les tableaux se succèdent alors, synthétiques et colorés, reprenant avec mystère et majesté des thèmes chrétiens comme Les Pèlerins d'Emmaüs (1895, musée départemental du Prieuré, Saint-Germain-en-Laye) et Jésus chez Marthe et Marie (1896, musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg).[...]
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Écrit par
- Paul-Louis RINUY : professeur d'histoire et de théorie de l'art contemporain, université de Paris VIII
Classification
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