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GODELIER MAURICE (1934- )

L’évolution historique des rapports sociaux et des sociétés

Dans cette perspective, toute société est, selon Godelier, un ensemble de rapports sociaux hiérarchisés selon la nature de leurs fonctions, qui déterminent le poids respectif de chacune de leurs activités dans l’évolution historique de cet ensemble. Les rapports de parenté ne sauraient ainsi fonder les bandes cynégétiques et les tribus, pas plus que les rapports économiques les États-nations capitalistes. Ce sont en effet pour Godelier les rapports politico-religieux qui ont un rôle majeur dans la totalisation synchronique des sociétés, et les rapports économiques un rôle moteur dans leurs transformations diachroniques. Ces derniers n’accèdent néanmoins que tardivement, avec l’avènement du capitalisme, à une forme relative d’autonomie et de désencastrement. L’appropriation des biens (im)matériels et des moyens de production s’est en effet auparavant et partout ailleurs réalisée majoritairement dans le cadre des rapports de parenté et/ou des rapports politico-religieux (à l’instar des Aborigènes australiens, des royaumes hindous ou des cités-États grecques de la ligue de Délos).

Godelier réfléchit ainsi sur l’évolution historique en récusant à partir d’exemples océaniens (Tikopia, Trobriand, Hawaï) les stades néo-évolutionnistes (bandes, tribus, chefferies, états) où s’intercale la notion polysémique de chefferie entre les sociétés sans et avec État. Il se focalise pour cela sur trois des transformations majeures ayant affecté les tribus : le remplacement des great men par les big men, leur étatisation sous la forme de royautés divines et leur incorporation au système géopolitique du capitalisme.

Comparant une cinquantaine de sociétés mélanésiennes, Godelier observe que l’introduction dans le mariage du prix en échange de la fiancée ouvre à la transformation des rapports de parenté, leurs structures élémentaires devenant alors complexes. Cette innovation va de pair avec l’accumulation de richesses et l’organisation pionnière d’échanges cérémoniels relevant du potlatch et remplaçant les guerres intertribales. On ne passe pas alors seulement d’un échange des sœurs ou d’un échange généralisé des femmes à un choix non prescriptif et motivé du conjoint, mais d’un type de société à l’autre, où les great men et les initiations masculines font place aux big men et aux cultes des déesses de la fertilité. Cette évolution est favorisée à la fois par la mobilité sociale des individus et des groupes au sein de la hiérarchie statutaire et par un changement de mentalité (où le don se fait moins réciproque et plus agonistique, et la richesse monétaire équivalente à la vie humaine).

Comparant de même les premiers États eurasiatiques et amérindiens, à partir d’une critique du concept de mode de production asiatique mettant en avant l’extraction de tributs et de corvées par un pouvoir central typique des royautés divines, Godelier en déduit que l’appropriation des moyens de production par une classe, une caste ou un ordre a dérivé du contrôle par ces minorités des conditions imaginaires de reproduction de l’univers et de la vie grâce à leur monopolisation antérieure des formes d’armement et de communication (notamment rituels), persuadant le plus grand nombre du bien-fondé de leur procurer des biens (im)matériels en échange d’un accès garanti aux sources divines et occultes de la vitalité, de la fertilité, de la fécondité et de la prospérité.

Enfin, détaillant l’influence de la mondialisation sur le mode de vie des Baruya, Godelier montre que l’incorporation au capitalisme s’est traduite par la déstructuration conjuguée de l’ensemble des rapports sociaux tribaux et par l’érosion des hiérarchies au profit des inégalités. Cette recomposition s’est opérée aussi bien à travers l’avènement du paiement de compensations matrimoniales[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences, École des hautes études en sciences sociales, membre du Laboratoire d'anthropologie sociale

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