MAURICE HENRY, LA RÉVOLTE, LE RÊVE ET LE RIRE (N. Feuerhahn)
Maurice Henry (1907-1984), authentique précurseur de l'humour nouveau qui se dessine à l'horizon avant la Seconde Guerre mondiale, fut peintre à ses heures ; il a également travaillé comme journaliste et critique d'art et de cinéma, il a illustré de nombreux ouvrages et inventé des objets surréalistes, écrit des poèmes et des scénarios, réalisé des courts-métrages... André Breton, qui était son ami, lui a dédicacé l'ouvrage Le Surréalisme et la peinture (1945) où, à un remords significatif, il joignit un clin d'œil complice à l'adresse de l'autre songeur, dans le sens que Victor Hugo donnait à ce terme : « À Maurice Henry – que les préjugés encore afférents aux „genres“ (honte de nous !) ont fait grand regret de tenir hors de ce livre, qu'il soit dit que l'idée-image surréaliste, dans toute sa fraîcheur originelle, pour moi continue à se découvrir en lui chaque fois qu'un matin encore mal éveillé m'apporte la primeur d'un de ses dessins dans le journal (et je suis alors content, et je pense qu'à la belle manière – la sienne – nous avons compris le monde –, un grand rayon de soleil à frimas se poudre dans les rideaux) ».
Une exposition rétrospective a récemment révélé cette œuvre foisonnante à La Galerie, rue Guénégaud, à Paris (du 27 novembre 1997 au 24 juin 1998). Le parcours sur trois niveaux, retraçant l'ensemble de l'activité créatrice de l'artiste à travers un ensemble de dessins surréalistes, de dessins d'humour et de dessins de presse, de peintures, de photographies, d'objets, de manuscrits, de documents audiovisuels, a été réalisé à partir des archives de Maurice Henry, déposées à l'Institut Mémoires de l'édition contemporaine (I.M.E.C.). Un ouvrage intitulé Maurice Henry, la révolte, le rêve et le rire, le premier consacré à l'artiste, a paru en 1998 (coédité par I.M.E.C.-Éditions et Somogy-Éditions d'art). Son auteur, Nelly Feuerhahn, spécialisée dans l'étude des manifestations culturelles du comique et de l'humour, est chargée de recherches au C.N.R.S. : confrontée à une masse de documents encore inexploitée – lettres, projets, dessins... –, sa sélection rigoureuse propose une lecture nouvelle de l'œuvre de l'artiste.
Une chose est sûre : Maurice Henry a beaucoup travaillé et il s'est beaucoup amusé. Le critique d'art italien Arturo Schwarz ne l'appelait-il pas le « poète de l'humour noir-rose » ? On peut aussi évoquer à propos de Maurice Henry la position prudente d'André Breton, dont on connaît le refus catégorique d'enfermer dans une seule définition l'humour noir (Anthologie de l'humour noir, 1940). Quand le chef de file du mouvement surréaliste accueillit dans le groupe en 1933 Maurice Henry, il pressentait sans doute un talent qui saurait exploiter la rencontre magique et subversive de l'image et des mots.
Avant d'en arriver là, Maurice Henry passa une enfance marquée par la Grande Guerre et le tumulte des années 1920. Dans Points de repère (1968), sorte d'autobiographie illustrée, écrite à la troisième personne et entrelardée d'échantillons poétiques et artistiques, Maurice Henry remarque pour sa part : « Impression très vive produite par Dada et le surréalisme (1924-1925). Adhésion au groupe des jeunes poètes et penseurs du Grand Jeu (Roger Gilbert-Lecomte, René Daumal, Roger Vailland, Artür Harfaux, Josef Sima), en 1926. » L'adhésion au Grand Jeu, qui se déclarait « entièrement et systématiquement destructeur », fut décisive. Les règles du Grand Jeu visaient la subversion radicale de la vie quotidienne par le recours au pouvoir du rêve et à une pratique créatrice dégagée de la raison, exigences qui étaient (et restent), pour un non-initié, aussi mystérieuses qu'un match de cricket[...]
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Écrit par
- Milovan STANIC : maître de conférences en histoire de l'art à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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