JARRE MAURICE (1924-2009)
Hollywood
Pour beaucoup de cinéastes, la musique constitue une facette secondaire de leur œuvre. Mais, à l'instar de certains scénaristes ou directeurs de la photographie, des compositeurs ont su mener à bien des collaborations privilégiées et suivies avec des réalisateurs. Quelques exemples illustres inscrits dans l'histoire du cinéma – au premier rang desquels Bernard Herrmann et Alfred Hitchcock, John Williams et George Lucas – prouvent heureusement qu'une véritable symbiose peut s'instaurer entre un réalisateur et un compositeur. C'est le cas de David Lean et de Maurice Jarre, dont la collaboration se concrétisera par quatre films et trois oscars pour la meilleure partition originale : Lawrence of Arabia (Lawrence d'Arabie, 1962, oscar), Doctor Zhivago (Docteur Jivago, 1965, oscar), Ryan's Daughter (La Fille de Ryan, 1970) et A Passage to India (La Route des Indes, 1984, oscar).
Pour la bande originale de Lawrence d'Arabie, Lean avait tout d'abord pensé à Aram Khatchatourian pour la musique de caractère arabe et à Benjamin Britten pour la partition « britannique », Jarre étant censé signer la musique du générique. Khatchatourian ne put quitter l'U.R.S.S. et Britten exigea un an et demi pour écrire la partition. Sans demander l'avis de David Lean, Sam Spiegel décida que Richard Rodgers composerait 90 p. 100 de la musique et Maurice Jarre 10 p. 100. Mais les premiers envois de Rodgers au réalisateur ne furent pas convaincants et Lean réussit, en 1962, à imposer Maurice Jarre pour l'intégralité de la bande originale de Lawrence d'Arabie. Un thème unique parcourt tout le film, dont il accélère, anticipe, rompt ou fige le déroulement dramatique. Jarre déclarera : « Il me semblait important d'avoir un thème principal unique que l'on pouvait ensuite décliner à l'infini plutôt que de perturber le public avec une multitude de thèmes différents. » Pour Docteur Jivago, Maurice Jarre compose ce qui va devenir la référence classique pour Hollywood, le « leitmotiv » de cette partition – la célèbre « chanson de Lara » – constituant le plus sûr garant du romanesque.
Si le thème unique – que l'on retrouve avec la valse de Paris brûle-t-il ? de René Clément (1966) – constitue une sorte d'image de marque pour le compositeur, il établit cependant les limites de ses interventions à l'intérieur d'un film. Sans nier le bénéfice de l'impact au premier degré que représente la reconnaissance immédiate d'un thème pour le spectateur et la possibilité de le fredonner sans difficulté, force est de constater que le choix d'une politique thématique en matière de musique de film bloque le genre, et le relègue à un rang accessoire.
La musique de Maurice Jarre pour Lean dépassera heureusement ce simple rôle de médiateur entre le public et le film dans leurs deux dernières collaborations, La Fille de Ryan et La Route des Indes. Car Lean a toujours considéré que ce n'est pas par l'illusion de la réalité que le cinéma s'est donné un statut d'art réaliste, mais par le développement d'une toile de fond romanesque, le romanesque constituant la traduction culturelle de l'idée de réel. Et, par sa désuétude, la musique de Jarre contribue largement à ouvrir le champ romanesque.
Après le succès immense de Lawrence d'Arabie, Maurice Jarre va travailler avec les plus grands réalisateurs d'Hollywood : Fred Zinnemann (Behold a Pale Horse – Que vienne l'heure de la vengeance –, 1964), John Frankenheimer (The Train – Le Train –, 1964 ; Grand Prix, 1966 ; The Fixer – L'Homme de Kiev –, 1968), William Wyler (The Collector – L'Obsédé –, 1965), John Huston (The Life and Times of Judge Roy Bean – Juge et hors-la-loi –, 1972 ; The Man who would be King – L'Homme[...]
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Écrit par
- Juliette GARRIGUES : musicologue, analyste, cheffe de chœur diplômée du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, chargée de cours à Columbia University, New York (États-Unis)
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Média