LEMAÎTRE MAURICE (1926-2018)
Moïse Maurice Bismuth, dit Maurice Lemaître, naît le 23 avril 1926 à Paris. Après des études aux Arts et métiers, il fréquente le milieu anarchiste. En 1949, alors qu'il écrit pour Le Libertaire, il rencontre Isidore Isou. Lemaître est séduit par les idées politiques et la fougue créatrice du jeune Roumain. Il va aussitôt l'aider financièrement à publier ses écrits, tout en préfaçant des livres qui auront été essentiels dans le parcours suivi par Isidore Isou.
Maurice Lemaître a également des ambitions artistiques. Il va réaliser des œuvres majeures du cinéma expérimental, parmi lesquelles Le film est déjà commencé ? (1951). Avec ce premier film « ciselant », « c'est-à-dire une particule photogrammatique attaquée dans son essence même, la reproduction, appauvrie ou enrichie par des interventions dans sa gélatine », il approfondit et prolonge, à bien des niveaux, le manifeste lettriste d'Isou. Dans ce qui n'est plus seulement un film mais une représentation à part entière, l'apport le plus notable est la séance de « syncinéma ». Tous les composants traditionnels d'une séance banale y sont déstructurés. Du balayeur de service à l'auteur, de l'ouvreuse à l'acteur, de l'écran au projecteur, du spectateur au directeur de salle en passant par les bobines du film, chaque élément humain ou mécanique est mis à mal, déplacé, de manière à offrir un divertissement inédit qui a autant à voir avec un spectacle in vivo qu'avec ce que l'on appellera plus tard le « cinéma élargi » (expandedcinema). Faute de pouvoir présenter systématiquement un tel « spectacle », qui nécessite sa présence et celle de comparses, l'auteur introduit dans la bande-son du film terminé les preuves orales de son acharnement à faire éclater les soubassements de l'industrie et de l'esthétique cinématographique traditionnelles. La présentation du film sera suivie par la publication d'un ouvrage éponyme, en 1952.
Dès son arrivée dans le groupe lettriste, Maurice Lemaître se montre soucieux, dans ses nombreux traités et manifestes, et comme il l'écrit dans Carnets d'un fanatique (1960-1962), d'occuper la place de prophète au côté du messie créateur que serait Isou. Mais c'est en fait lorsqu'il crée dans l'indépendance de pensée et d'action qu'il reste possible de cerner ses talents variés. Ainsi, Isou ayant réalisé quatre films sur pellicule, à trente-six ans d'intervalle, Maurice Lemaître, par la force des choses, a accompli dans le cinéma, une trajectoire personnelle en prenant des libertés inconnues jusque-là. Dès son deuxième film, Un soir au cinéma (1962), ses ciselures se font de plus en plus complexes, harmonieuses et diversifiées. L'artiste s'essaie à toutes les possibilités. Il a recours à la tireuse optique ou « Truca » (L'Amour réinventé, 1979), investit le son d'une manière originale, maniant l'humour avec une subtilité déconcertante (The Song of Rio Jim, 1978), invente mille façons de faire connaître l'art imaginaire et l'œuvre ouverte, institués par Isou (de Pour faire un film, 1963, à Films imaginaires, 1985), se joue du star-système (Chantal D. star, 1968) et du public (Nada ! le dernier film, 1978 ; Cinéma, art du mouvement, 1979-1980), injecte dans son œuvre des scénarios qui ne sont pas édités (50 bons films, 1977). Bref, en dépit de mille « perfectionnements » accomplis sur ses copies, au fil des ans, qui ne facilitent pas la tâche de l'historien, Lemaître occupe sans discontinuer le devant de la scène du cinéma expérimental.
Son œuvre plastique est tout aussi féconde, et aisément identifiable. Elle évolue selon une logique implacable. L'intérêt de Lemaître pour l'hypergraphie ou multi-écriture est illustré, avec bonheur, par [...]
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Écrit par
- Frédérique DEVAUX : enseignante à l'université de Paris-VII et à l'École nationale supérieure Louis-Lumière, écrivaine
Classification
Autres références
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CINÉMA (Cinémas parallèles) - Le cinéma d'avant-garde
- Écrit par Raphaël BASSAN
- 11 954 mots
- 3 médias
...Traité de bave et d’éternité est surtout le film d’un théoricien (les ciselures y sont rudimentaires), Le film est déjà commencé ? de Maurice Lemaître (1951) relève d’une sensibilité authentiquement artistique. La bande-son décrit les aléas houleux d’une séance de cinéma où passe le film-titre...