MERLEAU-PONTY MAURICE (1908-1961)
L'œuvre de Merleau-Ponty représente un moment essentiel dans le développement de la phénoménologie. Husserlien, il n'a pourtant jamais accepté le moi transcendantal et a exprimé toujours davantage sa méfiance à l'égard d'une conscience conçue comme absolument transparente à elle-même. C'est un point sur lequel, dès ses premiers ouvrages, il s'oppose avec une discrète mais ferme résolution au Sartre de L'Être et le Néant. Attentif à Heidegger et se rapprochant de lui au long des années, il n'a jamais renoncé à un anthropocentrisme philosophique que les notions de chair et de chiasme, si importantes dans son œuvre posthume, n'ébranlent en rien.
Philosophe du sens, comme tout phénoménologue, Merleau-Ponty (qui fut aussi l'un des premiers penseurs de notre époque à se tourner vers la linguistique positive) met constamment en lumière la dialectique mouvante qui se joue entre le sens proféré et celui qui, par notre comportement, s'installe en nous et se révèle dans les choses. Il ouvre ainsi à la phénoménologie des voies nouvelles où, dans ses dernières années, il fit bien plus que s'engager.
La phénoménologie et la science
Maurice Merleau-Ponty, né à Rochefort-sur-Mer (Charente-Maritime), fut professeur au lycée de Saint-Quentin, puis à l'université de Lyon et, en 1949, à la Sorbonne. En 1952, il fut élu et nommé au Collège de France, succédant à Lavelle dans la chaire occupée, jadis, par Bergson. Il disparaît brutalement à Paris à l'âge de cinquante-trois ans.
Désaveu de la science
Ses premiers ouvrages marquants furent ses deux thèses : La Structure du comportement (1942) et la Phénoménologie de la perception(1945). Les titres de ces livres laissent supposer qu'ils concernent en premier lieu la psychologie. Or cet intérêt, loin d'être exclusif, n'en est même pas le souci principal. Non seulement ils traitent de tous les problèmes philosophiques classiques mais ils tracent déjà plus que l'esquisse d'une philosophie profondément rigoureuse et originale.
Bien que la psychologie soit le terrain sur lequel Merleau-Ponty choisit d'engager le débat, sa référence aux données de cette discipline a pour but de s'interroger sur une question qui n'est plus du ressort du psychologue ou de l'anthropologue de tendance « positive » et qui peut se formuler ainsi : les données de la psychologie étant ce qu'elles sont, quel statut d'être faut-il conférer à la subjectivité qui les anime, comme à la réalité à laquelle cette subjectivité permet d'accéder ?
Cette enquête mène à la découverte d'un cercle. Il consiste en ce que ces données n'ont été recueillies et élaborées, par le savant, que sous l'horizon d'une conception implicite et préalable tant de la subjectivité que de l'objectivité, laquelle aboutit à déformer ces mêmes données bien plus que celles-ci ne réussissent à vérifier celle-là. Il faut donc restituer leur sens exact et repenser un horizon ontologique qui favorise les progrès de la découverte et leur fournisse un cadre adéquat.
On retrouve ici une démarche qui n'est pas sans analogie avec la réduction phénoménologique de Husserl, encore que tournée cette fois, quasi explicitement, contre l'objectivisme chosiste et physicaliste de la pensée scientifique naïve. Tel est le sens, stimulant et non pas scandaleux ou antiscientifique, de la phrase fameuse : « La phénoménologie, c'est d'abord le désaveu de la science. »
En conclusion, apparaît désormais l'obligation de renoncer à l'une et à l'autre des deux grandes options philosophiques, apparemment antithétiques et foncièrement solidaires, le rationalisme et l'empirisme, qui, depuis le début de la science et sans en excepter la psychologie, se partagent les faveurs des savants[...]
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Écrit par
- Alphonse DE WAELHENS : membre de l'Académie royale de Belgique, membre associé à l'université de Louvain
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