RONET MAURICE (1927-1983)
Chaque décennie est illustrée au cinéma par un film-synthèse du paysage socio-économique de l'époque – Entrée des artistes en 1939, Rendez-Vous de juillet en 1949, Les Tricheurs en 1958 – qui a en outre le mérite de faire découvrir de jeunes comédiens, aptes à traduire le « malaise de vivre » dans tel ou tel contexte. C'est ainsi que dans le film de Jacques BeckerRendez-Vous de juillet, Maurice Ronet a été révélé au grand public par une interprétation toute en finesse d'« homme fragile et inquiet ». Il entame dès lors une carrière de jeune premier plus stéréotypée que son jeu ne l'avait laissé prévoir. Il tourne beaucoup au début des années 1950, en France et en Italie : productions à grand spectacle – Lucrèce Borgia, Casta Diva –, films socio-psychologiques comme La Jeune Folle ou Le Guérisseur. Puis il marque le pas, avant de tourner sous la direction de Louis Malle dans Ascenseur pour l'échafaud (1958). Il y traduit une ambiguïté jusque-là mal exprimée et inaugure un personnage de dandy influencé par toute une littérature d'époque, très « fitzgeraldienne » dans sa conception. C'est dans cet esprit qu'il aborde son rôle dans Plein Soleil de René Clément (1960), où l'affrontement avec Alain Delon n'est pas sans évoquer la rivalité trouble entre les deux protagonistes de L'Inconnu du Nord-Express.
Après quelques productions alimentaires en Espagne et en Italie, il tourne à nouveau avec Louis Malle : Le Feu follet, d'après Drieu la Rochelle (1963). C'est là, sans doute, le rôle qui lui permet le mieux d'affirmer son idéal de comédien caractérisé par un risque incessant et par le souci de restituer une vérité intérieure.
Il faut croire, pourtant, que le cinéma ne lui permet pas toujours de jouer ainsi « à fleur de peau » puisque Maurice Ronet décide de prendre ses distances avec le métier de comédien pour réaliser son premier film, Le Voleur du Tibidabo, en 1964, avec Anna Karina. Le film passe inaperçu, mais Ronet réalisera encore deux documentaires, dont L'Île des dragons, publié également sous forme de chronique. En fait, il ne réussit cette nouvelle carrière de metteur en scène qu'en 1978, quand il réalise pour la télévision un étonnant Bartleby, d'après la nouvelle de Melville : les troubles psychiques de ce petit employé de bureau semblent proches de son univers. Par la suite, Maurice Ronet réalise encore deux séries, d'après Edgar Allan Poe cette fois : Le Scarabée d'or et Ligea.
À la fin des années 1960, il retrouvera néanmoins une certaine complicité chez quelques réalisateurs de la Nouvelle Vague qui sauront mettre en valeur son refus du manichéisme. Claude Chabrol l'utilise au mieux dans La Femme infidèle (1968) et dans Le Scandale (1966) . L'acteur tiendra deux autres rôles intéressants en 1969 – dans La Piscine de Jacques Deray où il retrouve Alain Delon, et surtout en 1970 dans Raphaël, ou le Débauché de Michel Deville, où il exprime à merveille le désespoir et le libertinage d'un séducteur mûrissant.
Une nouvelle carrière semblait commencer pour lui dans Beau-Père (1980) et La Balance (1983), sa dernière apparition, étonnante composition de truand fatigué et d'une perversion raffinée. Il semble que, tout au long de sa carrière, Maurice Ronet se soit efforcé d'échapper à l'étiquette de jeune premier romantique et trop bien dans sa peau, pour traduire avec sensibilité et dérision le malaise de certains personnages, marginaux dans la grandeur comme dans l'échec.
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Écrit par
- André-Charles COHEN : critique de cinéma, traducteur
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