SCÈVE MAURICE (1500 env.-env.1560)
Article modifié le
Né à Lyon, Maurice Scève appartenait à une famille qui avait joué un rôle honorable dans la vie de la cité ; son existence reste mal connue. Il a dû faire de solides études ; puis, en 1533, on le trouve à Avignon où il est pour quelque chose dans la « découverte » du tombeau de Laure. Il fréquentait les cercles cultivés de Lyon et a connu les milieux néo-latins où s'épanouissait le sodalitium lugdunense ; il débute comme traducteur de la Flamete de Juan de Flores, travail qui révèle déjà l'intérêt qu'il porte au renouveau de la langue littéraire (1535, 1536) ; il compose cinq blasons pour le concours organisé par Clément Marot et participe au tombeau bilingue du Dauphin, mort en 1536 – sa poésie s'intitule Arion. On connaît de lui deux paraphrases de psaumes et quelques poésies de moindre valeur. Plus tard, il fut l'un des organisateurs de l'entrée royale dans Lyon en 1548. Les deux ouvrages qui lui valent une place assurée au panthéon poétique sont la Délie (1544, 2e éd., 1562) et le Microcosme (1562), publié à titre posthume.
Le cycle de la « Délie »
La Délie est le premier cycle amoureux de la Renaissance française. On trouve, certes, chez Marot et chez des poètes néo-latins tels que Salmon Macrin, Nicolas Bourbon et Jean Visagier comme l'ébauche du genre, et Jean de Boysonné a composé un cycle de poésies amoureuses, mais la date de cet ouvrage n'a pu être précisée ; en outre, il est resté manuscrit pendant très longtemps. C'est Scève qui, à l'instar de Pétrarque et de ses émules, a créé un ouvrage capable de rivaliser avec les poètes de la péninsule. On suppose que ce cycle reflète une expérience personnelle de l'auteur qui a fini par être assimilée, apprivoisée, fixée à tout jamais par la parole : le nom de Pernette du Guillet a été prononcé dans ce contexte, et d'autres hypothèses ont été avancées.
Le nom de Délie aide le lecteur à préciser quelques-uns des leitmotive du cycle : Délie évoque Diane et par contrecoup son frère Apollon, et, effectivement, nous retrouvons une série de thèmes antithétiques : absence/présence, lune/soleil, ombre/lumière, santé/maladie, et ainsi de suite ; en même temps, le cycle s'apparente au modèle pétrarquéen, en introduisant des thèmes comme la crainte, la solitude, la jalousie, le cadre de la nature et de la région, l'emploi de la mythologie classique. Mais Scève est loin de faire figure d'imitateur servile ou de suivre une série de poncifs ; il intègre tous ces éléments à l'expression d'une expérience intensément personnelle, et, à la fin du cycle, on sent qu'il parvient à situer son amour dans la perspective de son existence tout entière. Quant au néo-platonisme, il est moins omniprésent dans la Délie que dans d'autres cycles pétrarquéens, quoique Scève ait exploité avec fruit plus d'un thème platonicien. Il affirme son indépendance de diverses façons : tout d'abord, il n'a pas cherché à imiter les poètes de la tradition en leur empruntant trop de détails ou d'échos précis ; même les poètes latins qu'il connaissait à fond ont laissé peu de traces verbales dans le cycle. En outre, Scève a tenu à utiliser le dizain plutôt que le sonnet dont, il est vrai, la pénétration en France restait, à cette époque, extrêmement discrète. A-t-il pris cette décision par une sorte de patriotisme littéraire, ou préférait-il cette forme plus dense qui s'accordait si bien à l'expression concentrée et musicale de ses sentiments ? Impossible de trancher la question.
Enfin, Scève a fait œuvre de pionnier en mariant le cycle amoureux et la tradition emblématique. Il a organisé la séquence de façon à répartir les quatre cent quarante-neuf dizains en groupes de neuf, séparés par cinquante emblèmes dont le sens s'harmonise avec les thèmes développés dans les dizains. Cette disposition pose de nombreux problèmes dont les solutions restent controversées : Scève a-t-il trouvé toute faite la série d'emblèmes ou a-t-il dû la compléter par des ajouts de son propre cru ? On sait que la devise qui accompagne chaque emblème est reproduite aussi fidèlement que le permet la métrique dans le dernier vers du dizain qui suit l'emblème ; mais faut-il pousser plus loin l'analyse des rapports qui existeraient entre texte et emblème ? Est-ce que le nombre de dizains aurait un sens numérologique ? Il ne fait aucun doute que Scève s'intéressait à la mathématique, mais dans quelle mesure le cycle reposerait-il sur des considérations de cet ordre ? Le débat reste ouvert.
Ce qui n'est pas douteux, c'est la façon dont Scève a renouvelé la parole poétique, originalité qui a pu nuire au rayonnement rapide du livre : Thomas Sebillet, quelques années plus tard, se plaignait des « mots nouveaus » qui émaillaient le texte. En fait, malgré sa connaissance de la tradition pétrarquéenne, nous trouvons fort peu de néologismes d'origine italienne. Scève semble avoir n'inventé qu'une vingtaine de mots, mais il lui arrive de temps en temps de réintroduire dans certains vocables d'origine latine des sens qui avaient disparu avec le temps. Il emploie volontiers l'adverbe en -ment (habitude pétrarquéenne ou écho des grands rhétoriqueurs ?) ; il évite généralement la répétition d'un mot rare, mais, en revanche, il pratique souvent ce que les membres de la Pléiade appelaient le « provignement ». Ses habitudes syntaxiques (par exemple, l'emploi fréquent des propositions participiales) contribuent à la densité du texte ; toutefois, il évite la stagnation et contrôle de façon magistrale le rythme de la phrase, par un emploi judicieux de l'inversion, de l'enjambement et de l'incise. Enfin, le parti qu'il tire de l'image le distingue très nettement de ses prédécesseurs : non pas, certes, qu'il s'évertue à inventer des images originales, tant s'en faut ; il puise ses images à des sources bien connues, emblèmes, mythologie classique, domaine scientifique, Écriture sainte. Son originalité se révèle dans la façon dont glissent les images.
Le poète cherche souvent à évoquer le moment privilégié où il fut foudroyé par le regard de la bien-aimée, moment dont le souvenir constitue le thème du dizain d'ouverture. Scève a réussi à créer un cycle d'une unité évidente et à l'intérieur duquel on peut trouver des dizains tout à fait remarquables, par la densité de la parole, par l'autorité rythmique de la phrase, et par la façon dont l'intelligence et le sentiment s'équilibrent au moyen de cette parole incantatoire. Néanmoins, pendant des siècles, Scève est resté dans la pénombre, et il a fallu attendre l'apparition de générations, dont le goût a été formé par l'expérience symboliste (Mallarmé, Valéry), pour que cette poésie incandescente, érigée en hommage à Délie, « objet de plus haute vertu », soit appréciée à sa juste valeur.
Accédez à l'intégralité de nos articles
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Ian Dalrymple McFARLANE
: professeur de littérature française à l'université d'Oxford,
fellow de Wadham College
Classification
Autres références
-
BLASON, littérature
- Écrit par Nicole QUENTIN-MAURER
- 532 mots
Courant dès le xiie siècle, le terme de blason s'emploie à l'origine avec la signification de : discours, conversation, description, explication, propos. Vers la fin du xve siècle, c'est aussi une sorte de poésie, qui décrit minutieusement, sur le mode de l'éloge ou de la ...
-
DÉLIE, Maurice Scève - Fiche de lecture
- Écrit par Yvonne BELLENGER
- 825 mots
Délie objet de plus haute vertu parut en 1544 à Lyon. C'était le premier canzoniere, c'est-à-dire le premier recueil de poèmes amoureux à la manière de Pétrarque publié en France.
-
FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIe s.
- Écrit par Frank LESTRINGANT
- 6 762 mots
- 3 médias
...abrite une importante communauté italienne. Des livres italiens y sont imprimés, de la musique italienne y est composée. Son principal représentant est Maurice Scève (1501 env.-env.1564), l’auteur de Délie, objet de plus haute vertu (1544), suite de 449 dizains de décasyllabes, séparés en groupes... -
LYONNAIS POÈTES
- Écrit par Ian Dalrymple McFARLANE
- 2 111 mots
...(voir par exemple Jean Girard, Pierre Cousteau [Costalius], J. Paradin, G. de La Perrière) ; mais elle peut déteindre aussi sur la poésie amoureuse de Maurice Scève (Délie, 1544). Lyon a bénéficié de cette vogue en partie parce que bon nombre des imprimeurs se spécialisaient alors dans l'illustration....
Voir aussi