SCÈVE MAURICE (1500 env.-env.1560)
« Microcosme », le poème de l'Homme
Le Microcosme parut chez Tournes à Lyon en 1562, mais des indications assez sûres laissent penser que le texte fut rédigé en 1559. Comme les autres ouvrages de Scève, ce poème a été publié sans nom d'auteur, mais personne n'a jamais douté qu'il fût de lui. Ce poème souvent qualifié de « scientifique » – mais l'épithète est insuffisante – se divise en trois livres de mille vers chacun et se clôt par un tercet ; il chante les réalisations de l'homme au cours des siècles et met l'accent sur la dignitas hominis, l'un des thèmes favoris de la Renaissance. Le premier livre traite de l'homme depuis la création jusqu'au crime de Caïn ; dans le deuxième, Adam entrevoit en rêve la naissance des arts et des techniques jusqu'au moment où l'apparition d'Orphée y met fin par la peur qu'il inspire à Adam. Dans le troisième livre, Adam apprend à son épouse les progrès dont l'esprit humain est capable. On voit que les thèmes principaux sont développés à l'intérieur d'un cadre nettement religieux : la présence d'Adam et d'Ève à elle seule serait la garantie de l'inspiration chrétienne. Toutefois, c'est l'homme qui tient la place centrale : grâce à la liberté qui lui a été octroyée, il peut déployer toute son énergie au profit des générations à venir..., évidemment, il peut choisir le bien ou le mal, mais ici l'accent est mis sur les qualités bénéfiques de la race humaine ; le péché est rejeté plutôt sur Caïn et se dissout, pour ainsi dire, dans la stérilité de la race. Scève met en vedette les réussites, et non pas les échecs ni les imperfections de l'homme. Son évocation de ce monde ici-bas est empreinte d'un très grand optimisme. Évidemment, un poème de ce genre n'est pas dépourvu de longueurs ni, çà et là, d'une certaine sécheresse : la description des progrès réalisés grâce à l'enseignement, à l'agriculture, à la mathématique, à l'architecture, frôle par endroits le prosaïsme. Mais l'intérêt du poème nous semble résider ailleurs : dans l'évocation de la nature, des rapports entre Adam et Ève, d'une joie de vivre incontestable, thèmes qui lui confèrent un remarquable dynamisme poétique.
En outre se rejoignent et s'harmonisent au sein du poème toute une série de courants intellectuels : la tradition encyclopédique si caractéristique de la Renaissance, des éléments philosophiques remontant au Moyen Âge – à tel point que certains critiques ont vu en Scève un esprit qui s'apparenterait plutôt au Moyen Âge finissant, attitude à vrai dire excessive –, des idées qui s'inspirent des écrits de Nicolas de Cusa ; plus récemment, enfin, on s'est plu à déceler l'influence de Charles de Bovelles. En même temps, le poème vient s'inscrire dans le genre de la poésie scientifique qui a connu un regain de faveur vers le milieu du xvie siècle : on songe aux Hymnes de Ronsard, à la Sphère de George Buchanan, poème inachevé mais dont la genèse remonte aux années 1550 ; en France, aux œuvres d'Antoine Mizault.
Pourtant, le Microcosme semble rester sans écho et même la Délie – reconnaissons-le – n'a connu qu'un public assez restreint. Avec le recul dont peut bénéficier un lecteur du xxe siècle, l'œuvre de Scève, prise dans sa totalité, apparaît comme un exemple frappant de l'originalité poétique de la Renaissance. Même dans les genres mineurs, comme l'églogue et le blason, Scève a laissé une forte empreinte : ainsi, le blason de la larme préfigure par certains côtés la poésie baroque. La Délie, on l'admet désormais, fait date dans l'évolution de la poésie du xvie siècle, par la force de l'imagination, par la vigueur de l'intelligence,[...]
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Écrit par
- Ian Dalrymple McFARLANE
: professeur de littérature française à l'université d'Oxford,
fellow de Wadham College
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